L’organisation internationale demande à l’administration universitaire et aux forces de sécurité de coopérer pour protéger les droits à la sécurité et à l’éducation des étudiants et du corps enseignant en Tunisie.


Dans un communiqué publié vendredi, Human Rights Watch a déclaré que les autorités tunisiennes «devraient protéger les libertés individuelles et académiques des actes de violence et autres menaces commis par des groupes à motivation religieuse agissant sur les campus universitaires».

Faire preuve d’une tolérance zéro

L’organisation internationale rappelle dans le communiqué les faits qui ont justifié sa déclaration : «Une université a suspendu ses cours le 6 décembre 2011 à cause de problèmes de sécurité. Les manifestants ont causé des perturbations sur les campus d’au moins quatre universités depuis octobre, exigeant qu’on impose leur propre interprétation de l’islam au programme d’enseignement ainsi qu’au quotidien et à l’habillement des étudiants. Ils ont interrompu des cours, empêché des étudiants de passer leurs examens, confiné des doyens dans leurs bureaux et menacé des enseignantes.»

«Les autorités tunisiennes, tout en protégeant bien sûr le droit à manifester pacifiquement, devraient faire preuve d’une tolérance zéro lorsque des groupes de manifestants perturbent les études par leurs menaces de violence», a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. «Le timing et l’endroit choisis pour certaines de ces protestations suggèrent qu’elles ont été planifiées pour provoquer une gêne maximale en entravant les examens, donc en privant des milliers d’étudiants de leurs droits», ajoute Mme Leah Whitson.

«Le ministère de l’Enseignement supérieur, autorité de tutelle des universités en Tunisie, n’a toujours pas pris de mesures décisives pour dissuader les perturbations de la vie universitaire et les actes d’agression et d’intimidation commis par des groupes intégristes sur les campus», déplore encore Human Rights Watch. L’organisation déplore aussi que les forces de sécurité n’aient «effectué aucune arrestation dans le cadre de ces incidents, alors qu’il apparaît clairement que ceux qui ont attaqué ou menacé le personnel de ces universités publiques ont violé la loi.» Pourtant, rappelle Human Rights Watch, l’article 116 du code pénal tunisien considère que c’est un délit que commet «quiconque exerce ou menace d’exercer des violences sur un fonctionnaire public pour le contraindre à faire ou à ne pas faire un acte relevant de ses fonctions».

Mettre en place des mécanismes de surveillance

Les manifestations les plus soutenues se sont déroulées à la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba, à l’ouest de Tunis. D’autres incidents ont eu lieu à l’École supérieure de commerce de la Manouba, à la Faculté des Lettres et des Sciences humaines de Sousse, à l’Institut supérieur de Sciences appliquées et de Technologie de Kairouan, et à l’Institut supérieur de Théologie de Tunis.

«Les principes de l’autonomie des universités et de la non-intervention sur les campus ne devraient pas être utilisés par le gouvernement comme excuses pour renoncer à ses devoirs : assurer la sécurité des étudiants et des professeurs, dissuader les intrus de déranger les activités académiques, et faire en sorte que les manifestations n’entravent pas outre mesure les droits des autres», souligne encore Human Rights Watch.

«Le gouvernement tunisien devrait garantir une intervention rapide des forces de sécurité, à chaque fois que la faculté la demanderait, pour empêcher des tiers de gravement perturber la vie universitaire», estime l’organisation. «Les autorités devraient aussi mettre en place des mécanismes de surveillance de façon à ce que soient pistées les agressions physiques et les menaces contre les établissements, les enseignants et les étudiants, afin d’identifier les responsables et de leur faire rendre des comptes conformément au code pénal tunisien», ajoute Human Rights Watch.

«Sous le président Zine El Abidine Ben Ali, les campus tunisiens étaient étouffés par une uniformité politique imposée de force», a rappelé Sarah Leah Whitson. «Si les étudiants et les professeurs tunisiens ont aidé à évincer Ben Ali, ce n’est pas pour voir une forme de répression sur le campus remplacée par une autre», souligne-t-elle.

Liberté académiques et droit international  

Le principe des libertés académiques dérive du droit internationalement reconnu à l’éducation, tel que garanti par l’article 13 du Pacte international relatif aux droits sociaux, économiques et culturels.

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (Cdesc) des Nations Unies a insisté sur le fait que «les libertés académiques englobent la liberté pour l’individu d’exprimer librement ses opinions sur l'institution ou le système dans lequel il travaille, d’exercer ses fonctions sans être soumis à des mesures discriminatoires et sans crainte de répression de la part de l’État ou de tout autre acteur (…)»

L’autonomie institutionnelle est également une condition sine qua non pour que s’exercent les droits individuels des professeurs et des étudiants. Le Cdesc définit l’autonomie comme «le degré d’indépendance dont [un établissement] a besoin pour prendre des décisions efficaces, qu’il s'agisse de ses travaux, de ses normes, de sa gestion ou de ses activités connexes».

Les institutions d’enseignement devraient pouvoir décider de leur propre règlement et s’administrer elles-mêmes. En outre, la Recommandation concernant la condition du personnel enseignant de l'enseignement supérieur, adoptée par la Conférence générale de l’Unesco en 1997, prévoit que les États ont l’obligation de protéger les institutions d’enseignement supérieur des menaces envers leur autonomie, quelle que soit leur origine.

Tandis que l’État a l’obligation de garantir le droit de se rassembler pacifiquement, y compris celui des professeurs et des étudiants, et leur liberté à organiser pacifiquement et à participer à des manifestations sur le campus, ou à d’autres rassemblements, il est aussi responsable de la sécurité des étudiants et des professeurs, et de s’assurer que les manifestations n’interfèrent pas outre mesure avec leur droit à l’éducation et leurs autres droits.

Après la chute du président Zine El Abidine Ben Ali en janvier 2011, le gouvernement tunisien a retiré les policiers des campus universitaires. Actuellement, la police n’est censée intervenir que si le doyen leur en fait la requête explicite.

Par ailleurs, les doyens des facultés détiennent principalement la responsabilité de rapporter les atteintes aux libertés académiques aux autorités compétentes et de solliciter leur intervention lorsque des menaces ou des violences sont perpétrées, ou lorsque des manifestations paralysent la vie universitaire.