Dans un droit de réponse, signé par son avocat Akram Akhzoury, envoyé à nos confrères de ‘‘Mediapart’’, l’ex-président tunisien réaffirme que son départ de Tunisie a été précipité par une machination de son entourage.


 

Dans les extraits de cette mise au point, l’avocat essaye de rectifier certains faits jugés «inexacts» et de compléter d’autres qualifiés d’«incomplets» dans l’article en question. Mais ses affirmations tendent à conforter la thèse d’un complot dont l’ex-président aurait été victime, «complot» où la responsabilité de certains de ses proches collaborateurs est pointée du doigt, mais sans donner lieu à des accusations nominatives. Voici, d’abord, le texte de cette mise au point, que nous commenterons ci-dessous :

Vraies ou fausses menaces sur le palais de Carthage ?

«1- Contrairement à ce qu’a reporté l’article à la page 9, le président Ben Ali n’a jamais demandé au ministre de la Défense d’abattre les agents de la brigade antiterroriste. Ceci est documenté et prouvé par l’ensemble des communications téléphoniques – toutes enregistrées – entre le président Ben Ali et le ministre de la Défense, le ministre de l’Intérieur et les généraux Ali Seriati et Rachid Ammar. L’exploitation de ces communications téléphoniques révélera la réalité des événements – faussement reportés dans l’article – qui ont eu lieu et clarifiera en tout état de cause ce qui est ‘‘non dit’’ dans cet article.


Ridha Grira

«2- Les faits que reporte l’article relativement aux circonstances du départ du président Ben Ali de Tunis le 14 janvier sont en partie incomplets et en partie inexacts : le président Ben Ali ne s’est jamais enfui de Tunis mais a été la victime d’un coup d’Etat monté de toutes pièces dont nous résumons les circonstances :

«Dans la matinée du 14 janvier 2011, Ali Seriati, directeur général chargé de la Sécurité présidentielle, dit que la situation dans la capitale tunisienne est très grave et incontrôlable et qu’il faut faire évacuer la famille tout de suite, que le palais de Carthage et la résidence de Sidi Bousaid sont encerclés par des éléments hostiles des forces de sécurité et lui a même montré du doigt deux vedettes qui sillonnaient la mer entre le palais et la résidence ainsi qu’un hélicoptère qui survolait la région. Il a ajouté que l’information selon laquelle un agent de sécurité de la garde rapprochée aurait été chargé de l’abattre est confirmée par les services de sécurité d’un pays ami sans préciser le nom de cet agent ni celui du pays en question. Il a insisté et supplié le président afin d’autoriser sa femme et ses enfants de quitter le pays sans délai. Il a même précisé que l’escorte et l’avion présidentiel étaient prêts, y compris le plan de vol pour Tripoli et Djeddah. Devant la gravité des événements et l’insistance de Ali Seriati, le Président a fini par accepter que sa famille parte pour Djeddah.


Rachid Ammar

«Le convoi quitte alors le palais de Carthage le 14 janvier vers 17h en direction de l’Aouina où l’avion présidentiel était déjà prêt à décoller. Là, Ali Seriati revient à la charge et insiste pour que le Président lui-même accompagne sa famille et revienne après les avoir déposés à Djeddah ; soit une absence de quelques heures seulement. Il a même suggéré de l’accompagner et revenir juste après, proposition refusée par le président. Finalement, le Président a accepté de partir avec sa famille à destination de Djeddah, quitte à ce que l’avion l’attende à l’aéroport pour retourner tout seul le soir même. Mais l’avion est revenu le 15 janvier sans le Président. La suite des événements est connue : Coup d’Etat et application de l’article 57 de la Constitution Tunisienne.

«L’interrogatoire des membres de l’équipage de l’avion présidentiel et le procès du Général Ali Seriati révèleront la réalité des faits.»

Où sont passés les «communications téléphoniques» ?

Ce droit de réponse ajoute à la confusion générale sur ce qui s’est réellement passé en cette journée de 14 janvier 2011, qui a été sanctionné par le départ précipité de Ben Ali et de sa famille en Arabie Saoudite.

On remarquera que Ben Ali affirme être victime d’un coup d’Etat, pointe du doigt, mais de façon allusive, le général Ali Seriati, le chef de la sécurité présidentielle, le ministre de la Défense Ridha Grira, le ministre de l’Intérieur Rafik Belhaj Kacem, et le général Rachid Ammar, chef d’état-major. Tout en se disant victime d’un coup d’Etat soigneusement planifié, l’ex-président ne va pas jusqu’à accuser nommément les «putschistes», peut-être pour éviter de les remonter davantage contre sa personne. Ou parce que lui-même n’a que des présomptions et de vagues soupçons, et non des preuves ou des certitudes. Ou qu’il laisse la porte ouverte...


Ali Seriati

Par ailleurs, Ben Ali fait référence, via son avocat, à des «communications téléphoniques toutes enregistrées», entre lui, le ministre de la Défense, le ministre de l’Intérieur et les généraux Ali Seriati et Rachid Ammar, qui pourraient révéler la vérité des faits durant ces heures fatidiques qui ont précédé son départ précipité.

On remarquera, avec ‘‘Mediapart’’, que ces «communications téléphoniques» ne figurent pas dans les procès-verbaux des auditions menées par la justice tunisienne avec les divers protagonistes, notamment MM Sériati, Belhaj Kacem, Grira et Ammar. Ce qui suscite quelques interrogations. Si ces communications existent, pourquoi n’ont-elles pas été auditionnées par les juges ? Si elles ont été détruites ou dérobées, les juges sont dans l’obligation d’enquêter à leur sujet, car l’opinion publique a le droit de savoir qui les a détruites et pour quelles raisons. Reste une autre hypothèse, à notre avis la moins probable, connaissant la propension de l’ancien régime à tout écouter, à tout enregistrer et à tout consigner noir sur blanc : ces communications téléphoniques n’ont jamais existé. En les évoquant avec insistance, via ses avocats, Ben Ali cherche à mettre la pression sur ses ex-collaborateurs, qu’ils soient poursuivis par la justice ou au pouvoir.

En tout état de cause : il y a encore, derrière les demi-révélations des uns et des autres, beaucoup de silences et de non-dits sur les rôles joués par les uns et les autres en cette journée du 14 janvier 2011. Quelques morceaux du puzzle manquent encore et il est peu probable, comme souvent dans de pareils circonstances historiques, qu’ils puissent être reconstitués du vivant des protagonistes.

Imed Bahri