Pour sa première sortie devant les chefs d’entreprises et hommes d’affaires, Moncef Marzouki a donné un discours moins populiste que d’habitude, mais pas vraiment au goût de l’ensemble des présents.

Par Aya Chedi


Ignorant le «long discours qu’a préparé la cellule économique au palais de Carthage», le Président par intérim a préféré concentrer son intervention sur les sit-in et leur impact négatif sur une économie tunisienne qui commence à battre de l’aile. Il a aussi invité les chefs d’entreprises à s’associer à un pacte de 8 points qui les lierait à l’Etat.

Eviter le suicide collectif

Adorant toujours revenir sur l’époque de la dictature, et lui coller tous les maux du pays, Moncef Marzouki a expliqué «que la vague de sit- in et de grèves trouve son explication dans la répression qu’a enduré notre peuple depuis plus de 50 ans. C’est le résultat logique de longues décennies de répression, de marginalisation et de fausses politiques dont nous payons aujourd’hui les tribus».


Marzouki s'adressant aux membres de l'Utica

Ces sit-in et grèves observés un peu partout dans le pays asphyxient certes l’économie du pays, mais, a indiqué M. Marzouki, «il ne faudrait pas que l’on qualifie ces gens de fauteurs de trouble. Il faudrait les comprendre». Cependant, s’empresse-t-il d’ajouter, «ils sont actuellement en train de nous causer un désastre. Si on risque de continuer sur ce rythme, le bateau va couler et nous tous à bord. Il s’agirait là d’un suicide collectif».

Le président par intérim a indiqué aussi qu’il compte s’«adresser à eux en toute amitié et amour pour leur indiquer qu’en perpétuant cette situation, c’est toute la Tunisie qu’ils poignardent dans le dos. Je leur demande, au nom de la patrie, de mettre fin à ces sit-in».

Après ce passage de son discours du bon père de famille, M. Marzouki prépare la contre-attaque et lance sur un ton grave : «Si ces grèves ne s’arrêtent pas, il viendra le temps où ce langage de compréhension, de tendresse et de sympathie laissera la place à un autre, où l’on demandera à ces personnes de se mettre de côté». Dans la salle principale de l’Utica, les présents ont scandé en chœur «Dégage !», synonyme de contestation et désarroi face aux saboteurs qui coupent les routes et paralysent les entreprises.

Un pacte entre l’Etat et les hommes d’affaires !

«La prochaine réunion que vous aurez avec Hamadi Jebali, Premier ministre, vous servira encore davantage pour en savoir davantage sur les grandes lignes à suivre par le nouveau gouvernement, ainsi que sur les dossiers les plus urgents à traiter», lance le Président par intérim aux hommes d’affaires. Il mentionne ensuite un ensemble de conditions nécessaires pour une meilleure reprise de l’économie nationale. Un volet qu’on ose qualifier de «pacte» à honorer par l’Etat d’une part et les hommes d’affaires et les chefs d’entreprises de l’autre.

Le long de «la trêve de six mois», qu’il a demandée pour aider la machine économique à fonctionner de nouveau, Moncef Marzouki s’est engagé à ce que l’Etat honore quatre points. Il s’agit, en premier lieu, d’une «administration efficiente et efficace qui vous évitera les tracasseries, pour que l’on puisse atteindre une autre cadence à même de briser la monotonie de la bureaucratie», explique M. Marzouki. Il ajoute : «On vous garantira aussi une justice indépendante, car il n’y aura jamais de progrès sans une justice indépendante». Et dans un même ordre d’idées, il indique que «l’Etat s’engage à se déployer pour contrecarrer toutes sortes de fraudes, de corruption, de népotisme et d’extorsion». Et là, il ne rate pas l’occasion d’épingler certains hommes d’affaires présents en leur lançant : «Vous avez eu tort d’injecter des masses importantes d’argent dans les campagnes électorales de certains partis. Mais vous avez découvert, par vous-mêmes, que le peuple tunisien n’est pas dupe. Il a réussi à sanctionner ces partis-là, et vous avez dans la réussite des autres partis, tels que le nôtre, la preuve que l’argent politique ne réussit pas à atteindre toujours ses objectifs».

En contrepartie, «les hommes d’affaires et les chefs d’entreprises doivent s’engager à nous rassurer sur quatre points. Tout d’abord de respecter les droits des travailleurs. Exploiter les gens, indique le Président par intérim, n’aboutira qu’à une nouvelle révolution, et la cupidité ne peut qu’avoir des effets néfastes sur le long terme. Le deuxième point concerne l’environnement, car nous ici, nous vivons sur une terre que nos enfants et arrière petits-enfants nous prêtent. Il faut respecter l’environnement dans toutes vos activités», a-t-il martelé.

Le payement de l’impôt n'appauvrit pas l'entreprise 

Le payement des impôts a été le troisième engagement que Moncef Marzouki a exhorté les hommes d’affaires à honorer. «Je vous demande à vous engager et à payer vos impôts, que beaucoup d’entre vous esquivent pour se dérober à ce devoir national. Payer ses impôts est synonyme de consolidation des recettes de l’Etat et non de mise à genoux de l’entreprise. Enfin, on vous demande de vous engager dans cette guerre sacrée contre le chômage. Nous sommes tous sur le même bateau, et si ce dernier coule, nous coulerons tous».

Beaucoup de chefs d’entreprises présents n’ont pas digéré le fait que le Président ait quitté aussitôt la salle. Beaucoup d’autres eux ont vu dans son discours une aubaine pour une meilleure compréhension de la situation actuelle, surtout que les propos présidentiels ont contenu pas mal de points jugés «intéressants».

Peut-être qu’après le passage du Premier ministre Hamadi Jebali, qui s’adressera bientôt au même auditoire, ils auront une idée plus précise de la situation dans le pays et de ce que le gouvernement pourrait faire pour aider à la stabilisation sociale et à la relance économique.