L’an 1 de la révolution, que nous nous apprêtons à laisser derrière nous, aura été exceptionnel de tout point de vue pour notre pays. Carthage a été, cette fois, sauvée des flammes.
Par Ridha Kéfi
Malgré les agitations sociales… Malgré les accès de violences, intermittents et inexplicables, souvent attribués aux forces contre-révolutionnaires… Malgré les cafouillages politiques et les tâtonnements d’une jeune démocratie qui se cherche encore des repères… Malgré les innombrables peurs partagées (des snipers, des terroristes infiltrés, du bruit de bottes dans la Libye voisine, etc.), tout ne s’est finalement pas mal passé.
On ne s’en est pas mal sorti
En comparaison avec les situations de semi-blocage en Egypte, d’incertitude en Libye, de manque de visibilité au Yémen, où Ali Abdallah Salah joue les prolongations, et de poursuite du bain du sang en Syrie, transformée en immense charnier par un Bachar déchaîné, la situation en Tunisie apparaît, à juste titre, comme particulièrement positive. Et pour cause…
L’ancien régime est en grande partie tombé avec la fuite de l’ex-président, la meilleure chose qu’il ait faite pour ce pays au terme de 23 ans de règne sans partage. Le vide constitutionnel a été évité et les structures de l’Etat ont bien résisté. Idem pour les services publics, qui se sont poursuivis sans discontinuer.
Donc, tout compte fait, et en dépit de l’impact négatif de l’incertitude politique sur l’économie (baisse des recettes touristiques, des exportations, des investissements, etc.), on ne s’en est pas mal sorti. Les choses auraient pu, en effet, plus mal tourner. Mais le pays a survécu à ses démons, sauvé par la meilleure part de lui-même.
Si l’effet de surprise a eu raison de Ben Ali, qui a paniqué et jeté l’éponge assez prématurément (les autres dictateurs ont malheureusement retenu la leçon), les Tunisiens ont montré un certain savoir-faire constitutionnel et organisationnel qui leur a permis de remettre rapidement le pays sur pied. Leur sens du consensus et leur rejet viscéral de la violence ont fait le reste. Carthage a été, cette fois, sauvée des flammes.
Une feuille de route bien tracée
Les élections du 23 octobre, les premières réellement pluralistes, transparentes et crédibles jamais organisées dans le pays, et peut-être même dans le monde arabe, ont permis de rétablir la légitimité populaire par le suffrage universel et de remettre le pays en ordre de marche. Par-delà la chronique politique des gagnants et des perdants, c’est le peuple tunisien qui a remporté la mise en sauvant sa révolution et en indiquant la marche à suivre : une Assemblée constituante élue, une Constitution que l’on espère aux meilleurs standards démocratiques, un nouveau gouvernement légitime quoique encore provisoire pour poursuivre la traversée du gué et, à l’arrivée, dans un an et demi, tout au plus, de nouvelles élections pour rétablir définitivement la légitimité constitutionnelle.
Une feuille de route bien tracée, et suivie jusque-là à la lettre, avec rigueur et respect des formes. C’est là le véritable «miracle tunisien», dont, paradoxalement, peu de Tunisiens sont conscients.
On pourrait continuer à gloser sur l’opportunité ou l’inanité des choix des Tunisiens, en opposant les modernistes aux islamistes, les progressistes aux identitaires et les pro-occidentaux aux pro-pays du Golfe, dans une sorte de lutte fratricide aussi inutile que contre-productive. L’essentiel n’est-il pas ailleurs : dans la capacité de ce peuple à mettre toutes ses forces et ses énergies au service d’un projet de renaissance nationale ?
La Tunisie, quelle que soit la majorité ou la coalition majoritaire qui la gouverne, en cette période transitoire, doit apprendre à puiser en elle-même, dans la foi et l’énergie de ses enfants, les moyens de se relancer dans la course au progrès et à compter sur les partenaires étrangers, tous les partenaires étrangers sans exclusivité, qui voudraient bien l’aider à traverser cette phase difficile de transition avec les moindres dégâts.
En d’autres termes, il ne sert à rien aujourd’hui de perdre notre temps et notre énergie dans des querelles partisanes. Celles-ci sont, bien sûr, le sel de la démocratie, son humus, son moteur et sa principale garantie. Elles devraient donc se poursuivre dans un esprit d’émulation et pour mettre des garde-fous au travail du gouvernement et/ou de l’Assemblée constituante. Elles ne devraient pas, cependant, et en aucun cas, cacher les véritables enjeux de l’année 2012 qui se profile, à savoir atténuer les effets du chômage par la création d’emplois, améliorer le niveau de vie dans les régions défavorisées, berceau de la révolution, réduire les écarts entre les riches des quartiers huppés et les pauvres des cités populaires et rétablir ainsi les conditions de l’unité nationale, mise à mal par la dictature.
Si en 2011, les Tunisiens ont œuvré à la préservation des acquis républicains, en 2012, ils devraient reprendre le chemin du travail pour renouer avec la croissance et la prospérité. C’est la seule résolution qui vaille à l’orée d’une nouvelle année…