Lors de la conférence de presse, lundi à Tripoli, en Libye, le président de la République est revenu sur l’affaire de Baghdadi Mahmoudi, incarcéré à Tunis. Il a (presque) promis son extradition.

Par Imed Bahri


 

L’ex-Premier ministre de Kadhafi est, on le sait, incarcéré à la prison de Mornaguia à Tunis. Il est notamment accusé d’entrée illégale dans le territoire tunisien, mais les nouvelles autorités libyennes exigent son extradition. Interrogé sur son cas, M. Marzouki a répondu : «Les Tunisiens souhaitent l'extradition de Ben Ali de l'Arabie Saoudite. Les Libyens ont donc le droit d'exiger que leur soit livré Mahmoudi, mais sur la base d'un procès juste et légal».

Une fausse comparaison : Ben Ali / Mahmoudi !

M. Marzouki a certes souligné, en tant que défenseur des droits de l’homme, le principe du respect de la dignité et de l’intégrité physique et morale de tout être humain, quel qu’il soit. Mais, en usant, encore une fois, de la comparaison entre le cas de la demande d’extradition de Ben Ali et celui de Mahmoudi, il a, en vérité, commis un amalgame dangereux. Cette insistante comparaison de Moncef Marzouki ne résiste, en effet, ni à la logique ni aux faits ni au droit. Elle risque même d’induire en erreur les Tunisiens et les Libyens, et surtout de conduire un être humain, ici en l’occurrence Baghdadi Mahmoudi, à la mort et/ou à la torture. Pour s’en convaincre, quelques points suffisent.

D’abord, Ben Ali était un chef d’Etat sanguinaire ; M. Al-Mahmoudi n’était pas un chef d’Etat. Il n’était qu’un Premier ministre sans grand pouvoir d’un chef d’Etat omnipotent, lui aussi sanguinaire, et exécuté d’une façon barbare et insupportable ce qui fait maintenant l’objet d’une enquête par la Cour Internationale car elle s’apparente à un crime de guerre !

Par ailleurs, rien n’indique ni ne prouve que M. Mahmoudi a commis de tels actes… Même M. Ocampo, Procureur général de la Cour pénale internationale (Cpi) ne l’a pas inclus dans le mandat d’arrêt lancé à l’encontre des ex-dirigeants libyens.

M. Marzouki devrait savoir que dans les régimes totalitaires, le dictateur utilise des technocrates pour la gestion des affaires courantes et se réserve exclusivement les pouvoirs militaire, sécuritaire, la propagande et les affaires étrangères. C’est exactement ce même système qui a été utilisé par Ben Ali et par Kadhafi. Les deux, et par personnes interposées (ou de haute confiance ou carrément de la famille) contrôlaient ces domaines de souveraineté. Ces personnes sont en relation directe avec le dictateur et n’obéissaient à personne d’autre, fût-il le Premier ministre. Sans vouloir citer de noms, on sait qui étaient ces personnes aussi bien en Tunisie qu’en Libye.

Sur un autre plan, Mahmoudi n’était qu’un technocrate sous Kadhafi. Les dictateurs avaient aussi besoin de personnes qui fassent le travail pour les aspects qui ne les intéressaient pas du tout : les aspects administratifs et les affaires courantes. En effet, la santé, l’éducation, l’agriculture, le budget (hors la manne pétrolière) étaient du ressort de Mahmoudi.

Comparaison n’est pas toujours raison, mais s’il faut toujours le faire, le seul responsable tunisien à qui on peut comparer Mahmoudi c’est n’est sans doute pas Ben Ali, mais Mohamed Ghannouchi, ancien Premier ministre de ce dernier. Mohamed Ghannouchi vit librement et paisiblement en Tunisie alors que Mahmoudi vit en prison en Tunisie, sous le coup de poursuites judiciaires.

La crainte, aujourd’hui, exprimée par les défenseurs des droits de l’homme, et même par tous les Tunisiens épris de justice, c’est que Mahmoudi fasse figure de monnaie d’échange politique.

Et pourtant le dossier est à l'examen aux Nations Unies !

Le président Marzouki, ancien président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (Ltdh) et qui est connu pour être un fervent défenseur des droits humains, aurait été bien inspiré de faire étudier par des experts en droit les fondements juridiques de la détention de Mahmoudi en Tunisie au lieu de déclarer à Tripoli qu’il était en train d’attendre une décision définitive de la justice tunisienne.

Car hélas, et dans des conditions rocambolesques, précipitées et étranges, la justice tunisienne (sous le précédent gouvernement) a donné sa décision définitive depuis le 9 novembre 2011 concernant l’extradition : il n’y a plus de recours judicaire possible à ce propos.

La décision définitive est donc du ressort du président de la République. Foued Mebazaa s’est gardé de le faire, laissant la patate chaude à son successeur, M. Marzouki ! A ce propos, Kapitalis a parlé d’un piège ! Le chef de l’Etat va-t-il s’y laisser prendre… et tous les Tunisiens avec lui ?

M. Marzouki a certes parlé de conditions d’extradition : ne pas porter atteinte à l’intégrité physique de M. Mahmoudi et lui assurer un procès équitable. Mais n’est-ce pas trop demander aux autorités libyennes, incapables d’empêcher les attaques armées contre nos vaillants gardes frontières tunisiens et leur prise d'otages, comme cela s’est passé samedi dernier ? N’est-ce pas surréaliste de leur demander de protéger M. Mahmoudi, leur citoyen, sur leur territoire ? Le rêve est permis.

Sur un autre plan, le cas de M. Mahmoudi est en train d’être étudié par les Nations Unies. Début décembre, 3 hauts fonctionnaires de l’organisation internationale l’ont interrogé à la prison de Mornaguia six jours de suite. Pourquoi ne pas l’avoir dit à ses hôtes libyens et à l’opinion publique lors de la conférence de presse ? Cela aurait été un bon argument.

L’idée d’un marché de dupes (migration de la main d’œuvre tunisienne contre l’extradition d’un homme qui risque gros dans son pays) est insupportable pour beaucoup de Tunisiens.