Cinq tunisiens sont encore détenus à Guantanamo, sans avoir été inculpés d’aucun crime. La révolution tunisienne restera incomplète tant qu’un seul Tunisien resta incarcéré dans cette prison américaine.
Par Mourad Teyeb
Le mercredi 11 Janvier 2012 marquera le 10e anniversaire de l’ouverture de la prison américaine de Guantanamo Bay.
Durant ces dix années, 779 hommes ont été détenus – dont seulement 7 ont eu un procès. Tous ont été maltraités et beaucoup ont fait la grève de la faim pour protester contre leurs conditions de détention. Huit de ceux-ci sont morts.
Cinq citoyens tunisiens y sont encore détenus, malgré le fait qu’ils n’ont jamais été inculpés d’aucun crime.
Cinq hommes toujours privés de leur liberté alors que leur pays a parcouru un long chemin de liberté, bâti par la Révolution tunisienne.
Sous le régime échu de Ben Ali, les détenus tunisiens ne pouvaient retourner en Tunisie au risque d’être torturés. Mais maintenant, étant donné qu’une transition démocratique se poursuit en Tunisie, il n’y a plus rien pour empêcher ces citoyens tunisiens de retourner dans leur pays.
Depuis la révolution tunisienne, le pays est devenu un leader dans le monde arabe et a montré son esprit démocratique en libérant des centaines de prisonniers politiques dans un effort pour éliminer la marque laissée par les violations des droits de l’homme de l’ancien régime. Cependant, la révolution tunisienne restera incomplète tant qu’un seul Tunisien sera toujours détenu à Guantanamo.
La grande solitude des détenus de Guantanamo
Les activistes montent au créneau
Dix ans après, la société civile internationale se mobilise pour la libération des Tunisiens encore détenus à Guantanamo.
Depuis l’annonce du président américain Barack Obama, en janvier 2009, de la fermeture de la base cubaine de Guantanamo, les milieux des droits de l’Homme, et plusieurs médias occidentaux, sont montés au créneau.
Reprieve, une Ong britannique de défense des prisonniers de Guantanamo, mène déjà une campagne de sensibilisation auprès de l’opinion et des autorités tunisiennes.
«Le changement de régime en Tunisie ouvre la voie à un retour des derniers prisonniers tunisiens de Guantanamo», estime Katherine Taylor, de Reprieve.
«Avant la révolution, le retour des prisonniers en Tunisie était très dangereux, souligne Taylor, mais la situation est évidemment différente maintenant», a-t-elle ajouté, appelant les autorités tunisiennes à «négocier avec les Etats-Unis pour obtenir le retour de ses ressortissants».
«Les cinq Tunisiens de Guantanamo ont été innocentés aux Etats-Unis et bénéficieront dans leur pays de la loi d’Amnistie générale décrétée après la chute du régime de Ben Ali», rappelle Taylor.
Selon Reprieve, il reste 171 prisonniers à Guantanamo, dont 89 ont été lavés de tout soupçon mais la plupart sont toujours détenus, leur pays d’origine n’offrant pas suffisamment de garanties, ou faute de trouver un pays tiers acceptant de les accueillir.
Au total, 12 Tunisiens sont passés par la prison américaine de Guantanamo. Sept ont déjà été relâchés, dont deux sont rentrés en Tunisie et cinq ont été transférés dans des pays tiers.
Des conditions de détention inhumaines
«Nous croyons que le moment est venu pour soulever le problème du sort de ces cinq hommes», appellent des activistes. «Les changements en Tunisie donnent la possibilité d’affronter les violations des droits de l’homme de tous les prisonniers, y compris ceux de Guantanamo. Il s’agit donc d’une occasion particulièrement cruciale pour le gouvernement tunisien pour démontrer un engagement réel pour la justice».
A signaler que quatre des sept anciens détenus tunisiens libérés ont repris une vie normale en Tunisie. Rafik Hammi, qui fut détenu à Guantanamo pendant presque une décennie sans avoir été inculpé ou avoir vu un procès s’est d’abord réinstallé en Slovaquie et est finalement rentré chez lui en Tunisie en mars 2011. Il a monté un petit commerce près de chez lui, à Ben Arous. Il a raconté sa mésaventure dans la prison américaine : «Les années que j’ai passées en détention étaient inimaginables. Je ne savais pas si j’aurais été capable de retourner auprès de ma famille et de ma patrie, et je n’ai jamais été informé des raisons pour lesquelles j’étais détenu, ou eu une chance de me défendre dans un procès équitable. Depuis mon retour en Tunisie, j’ai enfin été réuni avec ma famille et j’ai pu retrouver une vie normale. J’ai de grands espoirs pour mon avenir ici.»
Il est temps que la société civile et les autorités tunisiennes assument eux-aussi toutes leurs responsabilités.
Reprieve en bref...
Reprieve est une organisation caritative britannique avec des bureaux à Londres, à Melbourne (Australie), au New Orleans (EU) et Amsterdam (Pays-Bas).
Cette organisation utilise la loi pour faire respecter les droits humains des prisonniers, depuis les condamnés à mort jusqu’à Guantánamo Bay.
Reprieve enquête, plaide et informe, en travaillant en première ligne, afin de fournir un soutien juridique aux détenus incapables de se le payer. Reprieve promeut la primauté du droit dans le monde en garantissant le droit de chaque personne à un procès équitable et en sauvant des vies.
Elle représente un grand nombre de prisonniers qui ont été maltraités dans le monde, et mène des enquêtes sur la pratique de la reddition extraordinaire et la détention secrète des «prisonniers fantômes» dans la soi-disant «guerre contre le terrorisme».