La fusion des trois partis centristes n’a pas surpris, mais c’est la volte-face d’autres formations politiques, annoncées pour cette fusion, qui a suscité des interrogations.

Par Marouen El Mehdi


Les leaders des trois partis ont tenu une conférence de presse, mercredi, pour annoncer la constitution de ce front, les raisons ayant nécessité sa constitution, ses objectifs et son programme d’action.

Pourquoi le Parti démocrate progressiste (Pdp), Afek Tounes et le Parti Républicain ont-ils donc pris la décision de fusionner ? Selon ses initiateurs, cette fusion est une réponse aux nécessités de cette étape et aux aspirations de larges franges de la société. Entre autres raisons, ces partis invoquent ce qu’ils appellent «la responsabilité historique du moment», «les enjeux auxquels la Tunisie doit faire face», «la nécessité de disposer d’un cadre politique susceptible d’accueillir toutes les forces nationales désireuses d’édifier un projet politique ancré profondément dans la société et puisant dans ses valeurs arabo-musulmanes».


Yassine Brahim.

Une nouvelle force politique dîtes-vous ?

Et quoi encore, au-delà de cette langue de bois qui en dit moins qu’elle ne tait ? Le nom d’Ennahdha, grand vainqueur des élections de l’Assemblée constituante, le 23 octobre, et qui a constitué le gouvernement actuel, grâce à une alliance avec deux autres partis centristes, le Congrès pour la république (Cpr) et Ettakatol, n’a pas été évoqué. Il était pourtant dans tous les esprits. N’est-ce pas pour contrer ce mouvement, aujourd’hui au pouvoir, que les trois partis, grands perdants des élections d’octobre, cherchent aujourd’hui à fusionner, dans l’espoir de peser d’un poids moins léger dans l’échiquier politique ? N’est-ce pas aussi pour se positionner en perspective des prochaines élections, qui auront lieu, sauf surprise ou catastrophe, en 2013 ?

La fusion annoncée sera concrétisée à l’occasion du prochain congrès du Pdp, les 17, 18 et 19 mars, qui se transformera en un congrès unificateur d’une nouvelle force politique. Une instance commune a été constituée pour la préparation politique et logistique de ce congrès qui aura à choisir le nouveau nom du parti et fixera ses statuts ainsi que son nouveau règlement intérieur. Et sans doute aussi les grands axes de son futur programme, sachant que les orientations idéologiques des trois formations ne brillent pas par leur cohérence : l’héritage socialisant du Pdp contraste quelque peu avec le libéralisme d’Afek Tounes. A moins de vouloir seulement constituer un simple front électoral face à Ennahdha, les dirigeants de ce futur parti devraient essayer de trouver un corpus commun d’idées politiques et de programmes économiques et sociaux.


Néjib Chebbi.

Said Aydi prend goût au combat politique

Lors de leurs interventions, Maya Jribi (Pdp), Yassine Brahim (Afek Tounes), Youssef Chahed (La Voix du Centre), Mohamed Louzir (Afek Tounes) et Ahmed Nejib Chebbi (Pdp) ont tourné autour du pot pour ne pas prononcer le nom de l’adversaire commun : ce qui aurait eu l’avantage de la sincérité et de la clarté. Ils se sont donc contentés de souligner la nécessité de réunir toutes les forces démocratiques et progressistes pour constituer un parti centriste que beaucoup de Tunisiens appellent de leurs vœux. M. Chahed, un brin lyrique, comme souvent au moment des naissances, a même parlé de la réalisation d’un… rêve (pas moins !).

Prenant la parole sous une forte ovation, Said Aydi, l’ex-ministre de l’Emploi et de la Formation, s’est dit honoré de rejoindre le rang de ce parti : «Lorsque M. Caïd Essebsi m’a appelé pour occuper un poste dans son gouvernement, il a recommandé à tous les ministres de rester neutres et j’ai tout fait pour l’être. A présent, je ressens de la fierté en voyant ce parti voir le jour. Il porte un projet grandiose pour l’avenir de la Tunisie et son programme accordera une place particulière à la lutte contre le chômage, et je contribuerai à cet effort, surtout que je possède désormais une expérience dans le domaine de l’emploi et de la formation».

Autre indépendant à avoir ressenti un très fort désir de «fusionner» : Slaheddine Zahaf, invité d’honneur de la conférence, qui a précisé que la Tunisie a un besoin pressant d’un tel parti qui servira l’intérêt de tous les Tunisiens.

Ettajdid se laisse désirer

Les réponses aux interrogations des journalistes ont révélé une certaine réserve quant à la possibilité de voir le parti Ettajdid rejoindre ce mouvement. Mme Jribi a laissé entendre que le front reste ouvert à tous et que des tractations avec le parti d’Ahmed Brahim sont encore en cours. On a cependant appris que des intérêts d’ordres personnels et politiques ont été derrière ce revirement de dernière minute.

Les dirigeants d’Ettajdid, dont on connaît l’attachement à leur identité historique d’héritiers du Parti communiste tunisien (Pct), ont-ils craint de voir la fusion annoncée se transformer en une auto-dissolution au sein d’une sorte de «grand Pdp», ce parti jouant déjà, très opportunément, le rôle de locomotive ? On pourrait sérieusement le penser, connaissant les anciennes rivalités feutrées de ces deux partis et l’échec de toutes leurs anciennes tentatives d’alliance.

Par ailleurs, certains partis du Pôle démocratique moderniste (Pdm), autre perdant des élections d’octobre, ont accepté de rejoindre la formation en gestation, alors que d’autres s’y sont fermement opposés. Ils craignent, eux aussi, que le congrès constitutif, prévu lors du congrès du Pdp, ne devienne une «légitimation» de l’hégémonie de ce parti, qui n’a jamais brillé par sa prédisposition au travail en commun ! Le fait qu’il y soit aujourd’hui acculé l’incitera-t-il à jouer moins solo ? Wait and see…

Autre question présente dans tous les esprits : le nouveau front centriste rejoindra-t-il un jour le mouvement politique que l’ex-Premier ministre, Béji Caïd Essebsi, compte former dans un proche futur ? «Ce mouvement n’a pas encore vu le jour pour évoquer une telle possibilité, mais tout reste possible», a-t-on répondu, de manière évasive, laissant la porte ouverte à toutes les supputations.

Ce qui, on l’imagine, n’est pas de nature à rassurer des formations dont les idéologies sont aux antipodes du libéralisme, ici bourguibien, et qui pourrait englober, de proche en proche, les ex-Rcdistes. D’où la nécessité, pour les initiateurs du front centriste de mieux définir les contours de leur Opni ou objet politique non (encore) identifié.