Faute de moyens financiers et humains, et surtout d’une volonté politique claire, le dossier des biens de la famille Ben Ali/Trabelsi – confisqués au lendemain de la révolution –, traîne en longueur. Que faire ?

Par Zohra Abid


Pour réfléchir aux moyens d’accélérer les procédures de reprise des biens confisqués à la famille de l’ancien président, il a fallu plus de 4 heures de discussion entre les professionnels pour parvenir à une feuille de route qui sera présentée à l’Assemblée constituante.


Un débat pluridisciplinaire pour une confiscation réussie

Politiques, représentants de la société civile, juristes, experts comptables, administrateurs judiciaires, banquiers, et autres ténors de la Bourse et des finances ont participé à la conférence organisée, vendredi 13 janvier à Tunis, par l’association Nou-R (Forum pour une nouvelle république).

Tous les présents qui se sont penchés sur la question ont souhaité terminer au plus vite avec l’époque de la corruption, tourner la page de Ben Ali et remettre les pendules à l’heure du développement juste et équitable. Comment ?

Des procédures compliquées

Pour mettre la rencontre dans son cadre, Hassen Zargouni de l’association Nou-R a donné la parole au juge Adel Ben Ismaïl, nommé en avril 2011 à la tête de la Commission des biens confisqués pour enquêter sur les biens immobiliers et mobiliers de l’ancien clan au pouvoir, les classer et les catégoriser. Un dossier épineux qui exige beaucoup de moyens humains et financiers.


Adel Ben Smaïl et Hassen Zargouni

«On a beaucoup critiqué la commission pour sa lenteur. C’est facile de critiquer. Mais quand on ne bénéficie pas des moyens nécessaires, il est impossible d’arriver rapidement à un résultat», a plaidé le juge. Et d’ouvrir une autre parenthèse : «Malgré leurs occupations personnelles, les 8 membres bénévoles de la commission se sont déployés à fond. Il faut voir les conditions de notre mission. Il s’agit d’un lourd dossier. Les procédures ne sont pas faciles. Notre commission doit être renforcée par d’autres juristes à temps plein, ainsi que  par des personnes chargées des domaines de l’Etat. Sinon, ça risque de durer encore des années», a-t-il prévenu. Et d’ajouter que dans tous les dossiers, il y a des participations croisées avec des actionnaires qui regardent leurs biens se dilapider, des paradis fiscaux, des meubles et immeubles, des œuvres d’art non évaluées... Ceci demande du temps pour l’expertise et pour effectuer un travail équitable.

Les biens mal acquis ressemblent en fait à des fils de soie à démêler d’une bobine d’épines. Cette commission n’a pu traiter en 9 mois que les dossiers de 117 sociétés et 233 titres fonciers, soit le tiers de la fortune de la famille présidentielle recensée à ce jour.

A part la commission et ses membres, les administrateurs judiciaires, eux aussi, étaient sur les bancs des accusés et pointés du doigt. Selon plusieurs présents, les administrateurs ont beaucoup coûté à l’Etat et n’ont pas été, au final, à la hauteur ni de leur mission, ni des attentes du peuple.

Rendre au peuple ce qui lui appartient

Selon les uns et les autres, il faut que les politiques entrent en ligne et mettent un dispositif pour en finir définitivement avec le dossier. Le représentant d’Ennahdha, Mohamed Ben Romdhane, estime qu’il faut mettre en place un consortium pour garantir la transparence et réaliser le travail dans des délais plus courts. «Personnellement, je suis insatisfait du travail des administrateurs judiciaires. A ce rythme-là, nous sommes partis pour 5 à 6 ans et encore ! A mon avis, il faut se dépêcher pour rendre au peuple ce qui lui appartient», a-t-il souhaité. Et d’ajouter que les administrateurs judiciaires étaient là pour seulement gérer les affaires courantes des sociétés.

A entendre le chapelet d’accusations de part et d’autre, Mohamed Nabil Fkih, administrateur judiciaire de la société BienVu s’est défendu et a plaidé la cause de ses confrères. «Vous n’avez pas idée de la longueur des procédures, et il ne s’agit pas d’une simple activité de gestion. Nous avons laissé tomber nos cabinets et trop perdu dans cette mission patriotique. Ceux qui nous accusent d’avoir touché beaucoup d’argent, je leur réponds que ce n’est pas vrai», a-t-il précisé. Et de se justifier : «Personnellement, j’ai toujours dû passer par des contraintes, répondre au juge en charge de l’entreprise, attendre parfois des jours pour le rencontrer. Le juge, lui aussi, met la responsabilité sur le dos de la commission de gestion dépendant du ministère des Finances ou des Domaines de l’Etat qui nous a seulement chargés de la gestion du quotidien et de ne jamais prendre des décisions engageant l’avenir de l’entreprise pour booster son activité».

Caïd Essebsi doit rendre des comptes

Selon la plupart des présents, le gouvernement de Béji Caïd Essebsi n’a pas joué franc jeu. Il est pour quelque chose dans la lenteur des travaux de la commission des biens confisqués. Il y a eu des correspondances, des textes sur les biens acquis avant ou après 1987, sur les biens hérités ou qui ont prospéré en un temps très court, comme par miracle. «Je ne partage pas l’idéologie d’Ennahdha. Je ne suis pas sympathisant de la ‘‘troïka’’. Je suis tout simplement un citoyen qui constate que son pays est au bord de la dérive. Et ce n’est pas avec le comportement actuel de certains partis d’opposition que la Tunisie va sortir de la crise. Faites attention et ne faites surtout pas alliance avec Béji Caïd Essebsi (il s’adresse surtout aux représentants du Pdp, Ndlr) qui compte créer un parti et vous mettre tous sous son aile. Cet homme a fait beaucoup de mal au pays. Faites le bilan de son parcours. Allez creuser dans les dossiers des banques et vous aurez la réponse. Cet homme doit répondre normalement à plusieurs questions», a martelé Abdessattar Mabkhout. Que veut dire ce représentant de la société civile ? Il serait bon de le savoir...

A suivre