Dans un «Communiqué à l’opinion publique», daté du 26 janvier, l’ex-Premier ministre Béji Caïd Essebsi nous fait un diagnostic alarmant de la situation en Tunisie et propose un scénario de sortie de crise. En voici la traduction intégrale.

Traduit de l’arabe par Imed Bahri


Une année après que la révolution tunisienne ait réussi à provoquer un changement décisif qui a ouvert des horizons pour la concrétisation des aspirations des Tunisiens à la démocratie, à la dignité et à la justice sociale, le sens de la responsabilité nous appelle au devoir d’exprimer notre opinion sur la situation à laquelle est arrivé le pays et à proposer des voies pour dépasser les dangers qui semblent le menacer, d’autant que le flou et la confusion des tâches qui ont dominé le travail de l’Assemblée nationale constituante semblent avoir créé une crise de confiance politique à même de renforcer les dangers qui menacent la sécurité, l’économie et la situation sociale en général.

Il convient ici de rappeler que l’Assemblée nationale constituante a été élue pour élaborer une constitution et préparer les élections des institutions permanentes du pouvoir, et ce dans un délai d’un an à partir de la date de son élection.

Or, nous avons constaté la perte d’un temps énorme dans la mise en place d’un règlement des pouvoirs publics provisoires et de son règlement intérieur qui s’apparente davantage au règlement d’une chambre de députés qu’à celui d’une assemblée constituante, ainsi que dans la répartition des portefeuilles entre les parties au pouvoir de manière inadaptée à la nature de l’étape transitoire constituante.

Ce qui a ajouté à la défiance de couches importantes de la société tunisienne, c’est le refus de l’Assemblée à confirmer officiellement la durée de sa mission fixée à une seule année, conformément au décret loi n°1086 de l’année 2011, daté du 3 août 2011, et à l’accord convenu entre les 11 partis sur la même durée, signé le 15 septembre 2011.

Ce retour sur les engagements antérieurs a donné l’impression que l’Assemblée et le gouvernement qui en est issu, oeuvrent pour la prolongation de la 3ème phase transitoire. Pour mettre fin à cette crise de confiance qui s’aggrave, nous estimons qu’il est nécessaire de travailler pour rectifier le parcours, d’où la nécessité :

1 - pour l’Assemblée nationale constituante, de fixer officiellement et clairement la durée de son travail et celui du gouvernement qui en est issu, à une année et d’entamer immédiatement, dans ce qui est en reste, la rédaction de la constitution et l’organisation des prochaines élections dans un délai ne dépassant pas le 23 octobre 2012, et ce dans le cadre d’une feuille de route claire, comme ce fut le cas lors de la première session transitoire, ce qui a permis de rétablir la confiance entre les différents acteurs politiques, économiques et sociaux, de tenir des élections transparentes et démocratiques, d’impulser l’économie nationale et d’encourager les investisseurs étrangers ;

2- de réactiver l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) en lui permettant de reprendre immédiatement son activité, à commencer par l’achèvement de l’inscription des électeurs, la préparation des prochaines élections et la promulgation d’une nouvelle loi électorale, étant donné que l’élection d’institution constitutionnelle permanente nécessite une préparation plus importante que celle d’une Assemblée constituante ;

3- de lancer un appel à toutes les forces politiques et intellectuelles nationales, qui rejettent l’extrémisme et la violence et s’inscrivent dans la marche réformiste historique de notre pays, à unir leurs ressources matérielles et morales autour d’une alternative qui renforce l’équilibre politique et garantit la mise en place des mécanismes d’alternance pacifique sans lesquels la démocratie ne serait pas assurée.

Les élections du 23 octobre et la légitimité électorale qui en a découlé pour les partis qui ont pris les rênes du pouvoir en toute transparence et dans l’ordre, n’interdit pas de rappeler que nous traversons une deuxième phase transitoire qui devra être accompagnée d’une session électorale, non moins complexe que la première, et qui requiert le renforcement du consensus national comme un fondement de la sécurité, de la stabilité et du succès de la transition démocratique.

La dégradation de la situation dans le pays au cours de la dernière période, et notamment l’apparition de phénomènes d’extrémisme violent menaçant les libertés individuelles et collectives, appellent toutes les parties à réactiver les mécanismes du débat national sans lequel nous ne saurions avancer à pas sûrs et irréversibles vers l’accomplissement des tâches de la seconde phase transitoire, dont la plus importante est d’offrir à la Tunisie sa constitution d’avenir.

Traduit de l'arabe par Imed Bahri