Incarcéré depuis mercredi soir dans les geôles de la police, le «salafiste» casseur de journalistes doit être entendu dans les heures qui viennent par un juge d’instruction.
Par Zohra Abid
Bilel Chakroun, né en 1989, habitant à la Cité Ettadhamen, banlieue populaire de Tunis, est le jeune homme sans emploi qui a agressé, lundi, le journaliste Zied Krichen et l’universitaire Hamadi Redissi. Les images de l’agression, filmées par plusieurs journalistes et témoins présents sur les lieux, circule depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux. Il n’était donc pas difficile à la police de le retrouver et de l’arrêter, mercredi soir, afin qu’il réponde de son acte.
Selon Hichem El Meddeb, porte-parole du ministère de l’Intérieur, «l’opération a duré moins de 24 heures». Autant dire que l’ordre d’y procéder a été donné mardi en fin de journée.
Jeudi matin, la police a convoqué M. Krichen et M. Redissi pour qu’ils identifient l’agresseur présumé. «M. Krichen n’a pas voulu venir pour confronter son agresseur. Mais M. Redissi l’a vite reconnu», a dit M. El Meddeb. S’était-il rasé la barbe pour se déguiser, après que sa photo eut circulé sur le web, comme cela a été indiqué par certains confrères? «Non, a répondu M. El Meddeb, il était tel qu’il est. Exactement comme sur la photo qui circule sur les réseaux sociaux et que tous les Tunisiens ont vue».
Mais pourquoi toute cette haine qui habite le jeune homme contre les intellectuels et les artistes ?
Un feuilleton appelé Nessma TV
En octobre dernier, la chaîne privée Nessma TV a projeté ‘‘Persepolis’’, un film d’animation de Marjane Satrapi, réalisatrice iranienne. Une séquence de quelques secondes a été jugée comme personnification de Dieu par beaucoup de Tunisiens. Des islamistes radicaux ont tenté d’attaquer le siège de Nessma TV à l’avenue Mohamed V avant d’aller, le soir, jusqu’au domicile de Nabil Karoui, et menacer de mort ses occupants. Depuis, les choses se sont corsées.
Des manifestations ont eu lieu dans pratiquement toutes les régions du pays appelant les autorités à fermer la chaîne privée. M. Karoui a dû, le 11 octobre, présenter des excuses aux Tunisiens sur les ondes d’une radio privée. Une campagne contre M. Karoui a été lancée sur facebook, rediffusant même une vieille vidéo où ce dernier faisait l’éloge de l’ancien dictateur Ben Ali.
Des avocats et des représentants de la société civile (près de 150) ont déposé plainte contre le patron de Nessma et deux de ses employés. Le 12 octobre, M. Karoui a été entendu par le procureur adjoint de la république chargé de la presse et de l’information auprès du tribunal de première instance de Tunis.
Une première audience a été fixée au 17 novembre. Ce jour-là, plusieurs journalistes, hommes de culture et représentants de la société civile, sont venus soutenir M. Karoui. L’affaire contre Nessma TV a pris une autre tournure, symbolisant désormais une liberté d’expression menacée dans un pays livré aux fondamentalistes religieux.
Une séquence qui divise la Tunisie
Dans la salle d’audience, l’ambiance était électrique entre les défenseurs des deux parties. L’audience a été filmée et passée en direct et ensuite en boucle sur Nessma TV. Dehors, deux clans se formaient, prêts à s’affronter. Le juge a ordonné le report de l’affaire au 23 janvier.
Le jour J, tout le monde est au rendez-vous. Il y a de l’électricité dans l’air. Pour la police, c’est la galère. Elle y était préparée. Ceux qui soutiennent la chaîne Nessma TV sont venus du côté Bab Souika, et ceux qui y sont opposés, c’est-à-dire des salafistes ou apparentés, du côté de la Kasbah. Pour éviter que la manifestation ne dégénère en affrontement, le ministère de l’Intérieur «a mobilisé une cinquantaine d’agents à l’intérieur du tribunal et 80 à l’extérieur pour former un cordon et séparer les deux clans opposés», a expliqué à Kapitalis, M. El Meddeb. «Il y a eu, il est vrai, des insultes verbales, de par et d’autres, mais pas plus», a-t-il ajouté. Autant dire que, malgré les nerfs tendus, rien ne laissait présager ce qui allait se passer.
«Lorsque le journaliste Zied Krichen et l’universitaire Hamadi Redissi ont fendu le cordon et sont passé dans le camp adverse, à ce moment là, ils n’ont pas tardé à être insultés par plusieurs personnes et agressés verbalement et physiquement par le jeune homme que l’on vient d’arrêter. Les deux victimes ont été escortées par le chef du district, deux capitaines et plusieurs agents jusqu’au poste de police le plus proche où ils ont porté plainte», a-t-il précisé. L’affaire a suivi son cours.
Bilel Chakroun, incarcéré depuis mercredi soir dans les geôles de la police, doit être entendu dans les heures qui viennent par un juge d’instruction. Jusque là, il a nié les faits. Gardera-t-il longtemps cette ligne de défense ?