La manifestation organisée samedi à Tunis pour la défense des libertés fera-t-elle reculer les intégristes religieux, qui ont multiplié les actions coup de poing dans les lieux publics ?Pas très sûr…
Reportage de Zohra Abid
L’appel à cette Marche de la liberté, initiée principalement par le Parti démocratique progressiste (Pdp) et suivi par des milliers de libéraux et de gauche, ainsi que par des indépendants, a été lancé, au lendemain de l’agression de journalistes et d’intellectuels, devant le tribunal de Tunis (le jour du procès de Nessma TV), par des fondamentalistes religieux. Et pas seulement ! Une autre raison a rendu cette marche nécessaire. Des éléments wahhabites ont investi des mosquées dans plusieurs régions et s’en prennent aux imams voulant leur imposer des rituels et des discours religieux venus d’ailleurs.
Pas de démocratie sans liberté de la presse.
Sentant les libertés d’expression et de culte menacées, et face au mutisme du gouvernement, complice ou dépassé par les événements, des milliers de citoyens ont répondu à l’appel qui a grandement tourné en boucle sur les réseaux sociaux. Ce samedi, à midi pile, la place des droits de l’Homme à Tunis était noire de monde.
Un camion roule pour la liberté
Comme prévu, des hommes et des femmes de culture, des universitaires, des journalistes et autres activistes de la société civile se sont joints au mouvement. Tous agitent des drapeaux et scandent des slogans appelant à la préservation des libertés. Mais aussi contre Ennahdha, l’Arabie saoudite et ses wahhabites, les anciens du Rcd (ex-parti au pouvoir dissous) et surtout contre Sadok Chourou, l’élu d’Ennahdha à l’Assemblée constituante, qui a prononcé, il y a quelques jours, des propos durs à digérer contre les sit-inneurs, assimilés à des ennemis de Dieu.
Pour éviter qu’il y ait des heurts entre les manifestants et autres intrus du clan adverse, la police a quadrillé la ceinture de la place, les bretelles du parcours autorisé par les autorités qui commence à l’avenue Mohamed V et prend fin au niveau du quartier Le Passage, en contournant la Place 14-Janvier, avec une station au pied de l’Horloge et une traversée de l’avenue Habib Bourguiba, ainsi que celle de Paris.
Néjib Chebbi sollicité par les manifestants.
Dans le cortège, Iyed Dahmani, élu du Pdp, dans la constituante, conduit le mouvement et organise le cordon de la manifestation. «Suivez tous le camion. Restez à la tête du cortège, ne vous éparpillez-pas...», lance-t-il à la première rangée de manifestants, pour la plupart des «Pdpistes», entonnant l’hymne national.
A la tête de la manifestation, qui a rassemblé quelques milliers de personnes, plusieurs dirigeants politiques : Ahmed Nejib Chebbi (Pdp), Ahmed Brahim (Ettajdid) et plusieurs de leurs camarades de divers autres partis dont Afek Tounes, Al Aridha (proche de l’ancien parti dissous le Rcd). Autres personnalités aperçues : l’écrivain Abdelaziz Belkhodja (Parti Républicain), le juriste et constituant Fadhel Moussa (Pôle démocratique moderniste), Emna Menif et Riadh Zaoui (ex-Afek Tounes et actuels animateurs de l'association Kolna Tounes). Dans ce même cortège, nous avons remarqué aussi, plusieurs hommes d’affaires. Ainsi que des représentants du Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) et de l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (Inric).
Les journalistes à la recherche de l'image qui flashe.
Pas d’incident à signaler
Au niveau de la Banque centrale, le cortège, qui s’est éparpillé un peu, s’est arrêté en attendant de se rassembler à nouveau. Yan Mechura, un touriste tchèque se tenant à distance sur le trottoir. «Je suis venu pour visiter les sites romains. Yan Faure, mon ami français (un photographe de Marseille) se trouvant à Tunis pour écrire un livre sur la révolution et la transition, m’a conseillé d’y assister. C’est un moment d’histoire qui m’intéresse», confie l’historien, qui profite de son séjour de deux semaines en Tunisie pour suivre au maximum les événements.
Les femmes au premier rang.
En plus des drapeaux rouge et blanc frappés du croissant et de l’étoile, les manifestants brandissent des banderoles frappées de slogans mobilisateurs. On lit : «Emploi, liberté et dignité nationale» ; «Non aux ennemis de la liberté, non au Destour et non aux réactionnaires»... Le Nahdhaoui Chourou en a eu pour son grade : «Ya chourou ya jaban, chaâb tounes la youhen» (Chourou l’indigne, le peuple tunisien n’est pas à humilier), «Tounes horra horra, la khwanjia la rejiâa» (Tunisie libre, sans islamistes et sans réactionnaires), «La khouf, la roôb, essolta melk echaâb» (Ni peur ni terreur, le pouvoir est au peuple), «Ôumala’ alwahabia, hezzou yedikom âl khadhia» (Collabos des wahhabites, levez la main sur la cause)...
Le touriste tchèque qui se joint à la Marche.
Un petit tour, et puis s’en vont
Jusque-là, et contrairement aux habitudes, aucun élément du clan adverse n’a pointé le nez. Quelques dizaines d’entre eux étaient certes rassemblés devant le Théâtre municipal. Ils ont tenté d’organiser une contre-manifestation à l’avenue de Paris, en face de l’hôtel International. La police était là, aux abois. Le métro, qui a traversé l’avenue, a séparé les deux groupes. L’orage est vite passé...
Le véhicule, qui ouvre la marche, a continué à émettre des chants patriotiques. La marche s’est poursuivie, dans le calme, s’arrêtant devant l’Institut national de musique, puis devant la Maison de culture d’Ibn Rachiq...
Vers 14h00, l’heure du déjeuner, la foule s’est dégonflée, avant de s’effilocher au niveau du quartier Le Passage...
«Oh, je suis content. Cela s’est très bien passé. Il s’agit d’un signal clair au gouvernement pour qu’il prenne au plus vite des décisions concernant les provocations des extrémistes religieux », a dit à Kapitalis, un jeune fonctionnaire ayant voté Ennhadha et qui regrette aujourd’hui de l’avoir fait.
«Aujourd’hui, je suis perdu. Je ne sais pas à quel parti je vais adhérer. Que le plus compétent, fusse Béji Caïd Essebssi, malgré son passé pas toujours clair, prenne les rênes du pays, sinon on va au bord du gouffre avec cette mouvance d’islamistes extrémistes», ajoute l’homme, dubitatif.