Moncef Marzouki veut réanimer l’Union du Maghreb arabe et rêve d’un «Maghreb des libertés» dont les ressortissants pourraient circuler, s’établir et investir librement. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres.

Par Lhassan Outalha


Fondée le 17 février 1989 à Marrakech, date à laquelle son traité constitutif a été signé par les cinq chefs d’Etats à Marrakech, au Maroc, l’Union du Maghreb arabe (Uma) ne cesse, depuis, de faire du surplace. Bien que les responsables des cinq pays membres (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie, Tunisie) continuent de se rencontrer périodiquement, les résultats se font attendre. Les échanges commerciaux intermaghrébins restent très faibles et ne répondent pas aux aspirations des instigateurs de l’union et encore moins à celles des peuples de la région.

Le Sommet de Marrakech avait adopté une Déclaration solennelle relative à la création du l’Uma ainsi qu’au Programme de travail de l’Union.


Marzouki avec le président algérien Abdelaziz Bouteflika. Ph. Leaders

Triste histoire d’une institution handicapée

L’organisation emploie une quarantaine de salariés, dont une quinzaine de cadres, soit trois par pays. Son budget – 1,85 million de dollars – est exclusivement alimenté par les cotisations des pays membre : 370.000 dollars par an et par pays. Le loyer de son siège (74.000 dollars) est pris en charge par le Maroc, pays du siège. À la fin de l’année 2002, seuls deux pays avaient acquitté la totalité de leurs contributions : le Maroc et la Tunisie.

La triste histoire d’une institution handicapée de naissance : elle aura 23 ans le 17 février, mais qui ne marche toujours pas, n’agit pas et ne fait rien d’autre que coûter un peu plus d’argent chaque année à ceux qui continuent à s’acquitter de leur quote-part.

Mais il y a pire, c’est de naître condamnée à la paralysie par un conflit entre ses deux principaux membres, l’Algérie et le Maroc, né à la fin de 1974, il y a près de trente-huit ans ! Et qui s'est révélé à ce jour inextricable.

C'était, à l'origine, une querelle de voisinage et de décolonisation, attisée par le clash entre les égos des deux chefs d’État de l’époque : le roi du Maroc Hassan II et le président algérien Houari Boumediene.

Décennie après décennie, c'est devenu une affaire géostratégique sans solution en vue, coûteuse, pour ses protagonistes comme pour l'Afrique et la communauté internationale.

Tout au long de ses 23 ans d’existence, l’Uma n’a été capable ni d’aider ses deux principaux membres à résoudre le problème qui les oppose, ni de s’adapter au conflit. Alors elle persévère dans son non-être et fait semblant d’être. Comme d'autres «machins» – qualificatif utilisé en son temps par le général De gaulle à propos des Nations Unies – qui ne servent qu’à faire vivre des fonctionnaires, à faire voyager des ministres, à entretenir de faux espoirs, et qui ont pour noms Ligue des Etats arabes, Mouvement des non-alignés...

Pendant ce temps, les gens sérieux, Européens et Asiatiques en particulier, dépassent leurs conflits séculaires et construisent de vraies unions.


Marzouki et Mustapha Abdeljalil, président du Conseil national de transition libyen

Une configuration géopolitique exceptionnelle

Le Maghreb arabe a besoin aujourd’hui d’un élan militant en vue de relever tous les défis auxquels la région fait face, notamment les aspirations légitimes de la jeunesse à réaliser le développement durable et la sécurité alimentaire et à lutter contre toutes les formes d’extrémisme.

Avec une superficie de plus de 6 millions de kilomètres carrés, une population qui dépasse les 100 millions d’âmes, des langues et patrimoines civilisationnels communs, le Maghreb, en cela seulement, est une configuration géopolitique qui mérite le respect de quiconque observateur étranger.
Ouverte sur une bonne partie de l’Europe, sur l’Atlantique, sur toute l’étendue de l’Afrique profonde et sur le Monde arabe, cette partie de la planète habitée semble exister dans une forme de léthargie, de fatalité figée dans le seul souci de ne pas vouloir évoluer.

Le Maroc est en train de procéder à des réformes dans le type de la monarchie constitutionnelle et est en train de se poser des questions d’authentiques intérêts socioéconomiques avec les partenaires maghrébins et européens, dans les volets agricoles, touristiques, culturels et industriels.

Les surfaces agricoles utiles réunies des seuls pays du Maghreb central (Tunisie, Algérie et Maroc) et les ressources en eau n’ont rien à envier aux grandes étendues arables en Occident. De même pour les sites naturels de villégiatures.

Pendant que la manne hydrocarbure dans les déserts algérien et libyen pourrait participer non seulement à la disposition à moindre coût pour les besoins énergétiques destinés aux activités industrielles respectives, aux services, mais aussi à la disponibilité régulière d’une réserve de change communautaire capable de renflouer de grandes activités socioéconomiques charriant l’emploi et donc, la richesse.

Durant la brève période des deux sommets de l’Uma, à Alger puis à Marrakech, vers la fin des années quatre-vingt, un formidable mouvement de circulation intermaghrébin avait provoqué dans les mentalités citoyennes confondues des réactions de réflexe de proximité.

Mais il resterait à résoudre ce problème qui en vérité n’en a jamais été un, un problème de quelques 300.000 kilomètres carrés de désert pour 300.000 habitants qui fait monter le cholestérol et la tension artérielle à bon nombre de Maghrébins dont beaucoup ne comprennent pas la fermeture de plus de 1.300 kilomètres de frontière.


Moncef Marzouki et le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz

Le nouveau président tunisien a entamé, le 8 février, un périple au Maroc, en Mauritanie et en Algérie. Moncef Marzouki a rencontré, à Rabat, le Roi Mohammed VI, le chef du Gouvernement Abdelilah Benkirane et d’autres hauts responsables et représentants de la société civile marocaine. Il doit encore rencontrer cette semaine les responsables mauritaniens et algériens, et à leurs tête les présidents Mohamed Ould Abdel Aziz et Abdelaziz Bouteflika.

Ce premier déplacement à l’extérieur depuis sa prise de fonction à la mi-décembre – après celui en Libye en janvier – sera mis à profit pour essayer de relancer l’Uma léthargique depuis plusieurs années.

Les ambitions de Marzouki

Depuis son arrivée au pouvoir, Moncef Marzouki n’a pas manqué une occasion pour relancer l’idée d'un grand Maghreb allant de Nouakchott à Benghazi. Début janvier en Libye, il propose de faire des deux pays post-révolutionnaires le noyau de l’Uma. Quelques jours plus tard, l’idée est relancée à Tunis en présence du président algérien Abdelaziz Bouteflika, lors de la célébration de l’anniversaire de la révolution tunisienne.

L’Uma a été fondée en 1989 mais n’a jamais vraiment dépassé le stade symbolique. Son conseil composé des cinq chefs d’Etats ne s’est pas réuni depuis 1994. Et pour cause les coups de sang de l’ex-leader libyen Mouammar Kadhafi, mais aussi les différends entre Algérie et Maroc.

Cette fois, Moncef Marzouki veut mettre à profit ses six jours de tournée pour réanimer l’Uma selon ses mots. L’ex-défenseur des droits de l’homme rêve d’un «Maghreb des libertés» dont les ressortissants auraient le droit de circuler, de s’établir et d’investir librement. Mais aussi d’une union sécuritaire pour réduire la contrebande et le trafic d’armes avec une intégration économique renforcée pour faire baisser le chômage et l’immigration clandestine. Car Moncef Marzouki en est persuadé, 2012 sera l’année du Maghreb, même si cette conviction profonde rencontre beaucoup de scepticisme chez beaucoup de Maghrébins.

L’intégration régionale de l’Afrique du Nord apparaît pour de nombreux experts comme l’une des réponses aux difficultés que rencontre la région : chômage, pauvreté, mauvaise gouvernance, violence sociale, etc. Récemment, la directrice du Fmi, Christine Lagarde, a appelé à un resserrement des relations maroco-algériennes comme voie de salut pour les deux pays en mettant en exergue leur complémentarité. Les économies du Maghreb se tournent le dos et les gouvernants ont des relations marquées par une méfiance mutuelle.

Dans cette perspective, seule la démocratie est à même de faire sortir les dirigeants d’une logique nationale afin de mettre en pratique les conditions d’une intégration régionale attendue par l’opinion. Et qui ne peut se faire qu’à travers la démocratisation.

Uma, lève-toi et marche !

Les ondes de choc des révoltes sociales qui ont éclaté récemment dans le monde arabe, ont éclaboussé le Maroc et l’Algérie. Les deux pays, qui annonceraient bientôt la normalisation de leurs relations, sont désormais conscients de la nécessité de répondre aux aspirations de leurs peuples et sont condamnés à marcher ensemble pour l’intérêt du grand Maghreb.

Au Maroc, l’État entreprend aujourd’hui des réformes profondes. L’Algérie, elle, a levé l’état d’urgence décrété dans le pays depuis 18 ans et s’apprêterait à ouvrir une nouvelle page de son histoire avec le Maroc.

Aujourd’hui, le conflit entre le Maroc et l’Algérie semble devenir désuet. Les deux pays doivent faire face, ensemble, aux grands défis qui les attendent. C’est inévitable et c’est dans l’union que les peuples de la région recouvreront leur dignité bafouée au fil du temps.

Les Etats Unis ainsi que l’Union européenne (UE) ont tout à gagner dans cette union, car en s’unissant, les pays du Maghreb formeront un véritable rempart contre l’extrémisme et Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) qui sévit au Sahara et au Sahel.

Il est désormais temps que les efforts se conjuguent, que les volontés l’emportent sur les handicaps, et que l’Uma ressuscite.