«En s’alliant avec Ennahdha, les dirigeants d’Ettakatol ont trahi la base qui a milité pour les porter là où ils sont. C’est pourquoi nous avons décidé de quitter le parti et nous sommes convaincus de notre décision».

Par Zohra Abid


C’est ce qu’ont déclaré les démissionnaires du parti de Mustapha Ben Jaâfar lors d’une conférence de presse, jeudi à Tunis. Ils sont venus du Kef, de Sousse, de l’Ariana... pour mettre les points sur les «i» et répondre aux accusations de Mohamed Bennour, porte-parole d’Ettakatol, qui ne cesse de s’attaquer à Khemaies Ksila (l’enfant turbulent du parti qui vient, lui aussi, de présenter sa démission) et de l’accuser de manipuler le mouvement de contestation à l’intérieur d’Ettakatol.

Après Ettakatol, une autre vie

Selon Habib Aouamri du bureau du Kef, la décision n’a pas été prise sur un coup de tête. Mais elle a été réfléchie. «Parmi nous, il y a ceux qui ont milité avec Mustapha Ben Jaâfar dans les années de braise sous l’ancien régime, mais ils sont contraints de claquer la porte. Nous avons tenté de discuter avec les dirigeants en plusieurs occasions. En vain. Conséquence : une avalanche de démissions, individuelles ou collectives», a dit le membre du bureau exécutif du Kef. Et d’ajouter que ces démissions sont une forme de militantisme et le début d’un autre combat pour la démocratie. «Grâce à la révolution, nous avons adhéré à ce parti et grâce à cette même révolution qui nous ouvre les portes de la démocratie, nous avons démissionné», a-t-il ajouté avant d’annoncer que plusieurs partis ont fait appel à eux. Notamment le Parti démocratique progressiste (Pdp) et le Pôle démocratique moderniste (Pdm).

Pour le moment, ils ne sont pas encore décidés et le futur nous le dira.


Emna Sakli

Qui détient la vérité absolue ?

Comme M. Aouamri, Emna Sakli, démissionnaire du bureau de l’Ariana, reproche aux dirigeants du parti d’avoir pris des décisions graves sans consulter la base, et c’est une faute grave. «Il est vrai que parmi les démissionnaires, des membres de bureaux qui ont adhéré au parti après le 14 janvier. Mais nous avions tous une vie politique antérieure. Nous avons milité dans des associations ou au sein de la société civile et nous sommes capables de prendre des décisions sans l’influence de quiconque», dit Mme Sakli. Et de plaider davantage sa cause : «Ceci n’est pas une raison pour que les dirigeants adoptent la politique de la pensée unique. Comme s’ils détenaient, eux seuls, la vérité absolue. Ces dirigeants nous ont accusés d’être indisciplinés. Mais de quelle discipline parlent-ils ? A nous de choisir entre la soumission au parti ou la soumission aux intérêts de la Tunisie ?», s’interroge la militante qui a ajouté que contrairement aux propos de M. Bennour, derrière la cascade de démissions, il n’y a ni manipulation, ni manœuvres. Les militants sont des intellos qui n’ont pas besoin de béquilles pour faire de la politique.»

Un peu avant les premières démissions du bureau de l’Ariana en décembre 2011, il y a eu plusieurs tentatives de dialogue pour que les dirigeants changent de comportement. En vain. Surtout que le leader, pris par ses nouvelles fonctions à la tête de la Constituante, n’a plus le temps pour écouter ceux qui l’ont aidé à siéger dans la Coupole de Bardo.

«Nous avons compris que le parti est entièrement engagé avec la troïka et qu’il est difficile pour lui de faire marche arrière. Nous sommes déjà projetés dans l’avenir et nous discutons avec d’autres partis, mais nous ne sommes pas encore décidés», a précisé l’ancien membre du bureau exécutif de Dahmani. Du bureau de Tunis, Nejib Gaça a déclaré que la démission est  définitive et qu’il n’y aura pas de recul. «On n’a pas choisi de nous détacher, c’est le parti qui s’est détaché de ses principes», renchérit-il. Cette même décision a été prise par Hafedh Bannani et ses camardes de Sousse. «Mohamed Bennour a appelé le militant Mohamed El Jeddy afin de le convaincre de revenir sur sa décision et qu’il y aura un terrain d’entente. A Sousse, nous avons signé nos démissions et tourné la page», tranche-t-il.

Et le rôle de M. Ksila dans ce tsunami ?

Dr Khaled Kabbous, du bureau de l’Ariana, n’arrive pas encore, pour sa part, à digérer l’alliance du Cpr et Ettakatol avec Ennahdha. Selon lui, les deux partis ne partagent rien avec le mouvement islamiste. «Il y a quelque chose qui s’est cassée et impossible de recoller les morceaux», dit-il. Et d’annoncer : «Nous serons dans le rang des démocrates, modérés et modernistes».

Khemaies Ksila, élu sur la liste d’Ettakatol de Ben Arous, et qui a démissionné du parti, pense sérieusement à rassembler autour de lui des figures emblématiques pour lancer son propre parti. Mais était-il vraiment derrière ces frictions intestines ? La question ne se pose plus. Car, les démissionnaires disent qu’ils seraient avec n’importe quel parti démocrate et si M. Ksila incarnait leurs valeurs, pourquoi pas. «Si on se rencontre avec M. Ksila, pas de problème», a lancé l’un d’eux.

L’ancien membre d’Ettakatol était discrètement présent, une apparition furtive puis il s’est éclipsé. Il a, en vérité, préféré rester dans le hall, c’est plus visible, accordant des interviews aux radios, chaînes de télévision et presse écrite. Ainsi, il a eu sa revanche et son droit de réponse à son frère ennemi Mohamed Bennour. Et il vaut mieux arrêter les dégâts.

Un épisode est terminé. Un autre suivra et un nouveau parti est en gestation. «Non, je ne crois pas que nous allons rejoindre ni le camp du Pdp ni celui du Pdm. Nous ne partageons pas les mêmes valeurs. On va voir...», a dit à Kapitalis un avocat de l’ancien bureau de l’Ariana.