La centrale syndicale a appelé depuis quelques jours les travailleurs et travailleuses à une manifestation pacifique et massive. Rendez-vous: samedi 25 février à midi à la Place Mohamed Ali à Tunis. Chose faite. Reportage.

Par Zohra Abid


C’est l’occasion pour démontrer que les ouvriers représentent une force majeure dans le pays et qu'on ne gagne rien à entrer en conflit avec eux. Là, les syndicalistes disent qu’ils ne se laisseront plus jamais marcher sur les pieds et qu’au moment où il faut agir, ils agiront. Sachant qu’ils sont capables de rassembler des milliers de personnes et de pouvoir changer la donne. Ils savent aussi qu’ils ne sont pas les seuls à affronter n’importe quel gouvernement en place. Ils étaient quelques milliers sur l’avenue à scander leur colère et à brandir des affiches et des slogans. En direct de Tunis.

Forces ouvrières et gouvernement: pas de lune de miel!

Plusieurs représentants de la société civile, des défenseurs des droits de l’Homme et des dirigeants politiques se sont joints au mouvement. Selon les uns et les autres, le gouvernement (ou plutôt Ennahdha) est en train de fauter. «Ni les intérêts des travailleurs ni ceux de la révolution ne sont protégés et il y a une tentative de passage en force des islamistes non modérés», paroles recueillies au gré de la marche.

La goutte qui a fait déborder le vase, c’est que pendant des jours, on ne fait que jeter des sacs poubelles devant plusieurs sièges de l’Union générale tunisienne des Travailleurs (Ugtt). Cette dernière accuse des militants du parti islamiste derrière ces gestes peu amicaux. Des responsables d'Ennahdha ont tout de suite nié les faits et même condamné les actes d’agression contre l’Ugtt. Cette dernière détient apparemment des preuves et compte poursuivre en justice ceux qui se sont attaqués à ses locaux.

Vers midi: devant le siège de l’Ugtt, à la Place Mohamed Ali, il y a un peu plus de 3.000 personnes. Au fil des minutes, la foule a gonflé. Et la place a débordé sur les côtés. Suivons les protestataires.

Travailleurs, travailleuses avancent...

Aux premiers rangs, les employés municipaux, qui ont observé légalement une grève générale du lundi au jeudi. Mais, à voir les montagnes d’ordures ménagères dans tous les coins et recoins des villes et villages, il semble qu’ils sont encore en arrêt de travail et c’est le bras de fer entre eux et les autorités. Ces dernières, après avoir promis monts et merveilles (pendant le gouvernement de transition de Béji Caïd Essebsi) sont revenues sur leurs engagements.

13h30, devant la Cathédrale Saint-Vincent-de-Paul, à côté de la statue Ibn Khaldoun, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes remplissent la place et avancent vers le centre-ville. La bretelle piétonne du milieu de l’avenue est prise d’assaut par les protestataires. Pas une place pour une aiguille. Drapeaux du pays, couleurs syndicales, banderoles et affiches flottent dans l’air aux côtés du portait du leader des travailleurs, Farhat Hached.

Du côté du ministère de l’Intérieur, les forces de l’ordre en uniforme (ou tenue civile) montent la garde. Prêtes à agir au quart de tour. Jusque-là, aucun ordre n’a été donné et aucun accident n’a eu lieu. Des cris résonnent de plus en plus fort en s’approchant de la colossale bâtisse de l’Intérieur. «Ya nahdhaoui, ya jaban, chaâb tounes la youhan» (Nahdhaoui peureux, le peuple tunisien ne s’humilie point), «Tounes horra, horra, Ennahdha aâla barra» (Tunisie libre, Ennahdha dehors), «Echaâb yourid esqat ennidham» (Le peuple veut... faire tomber le gouvernement), «Démission, démission du gouvernement», «Plus de peur, le pouvoir est aux mains du peuple», scandent les protestataires, tout en s'en prenant à Rached Ghannouchi, leader islamique, à Hamadi Jebali, chef du gouvernement, à Ali Laârayedh, ministre de l’Intérieur et surtout aux anciens Rcdistes (parti dissous) qui ont changé de camp et fait pousser des barbes. «Saha ellehya ya tajamoâ».

Ça se corse dans les rangs

Entre les rangées, quelques étrangers au mouvement ont bombardé les manifestants d’un chapelet d’insultes. «Hier, on vous a laissés faire tranquillement votre manifestation contre les médias, aujourd’hui, laissez nous tranquilles», «Vous êtes des gens laïcs et sales... votre Ugtt était impliquée avec Ben Ali»... On s’échangeait des propos peu avenants tout le long de la marche... Mais sans passer aux mains.

13h50, encore devant le ministère de l’Intérieur, dans le cortège interminable, une petite rixe allait à moins un se déclencher. Dans la discrétion, un agent de sécurité s’introduit et remet de l’ordre. La manifestation continue dans la paix et chacun a lancé son message.

Parmi les manifestants, le juge Mokhtar Trifi, Bochra Ben Haj Hamida, Taieb Baccouche, Saïd Aïdi, Jawher Ben M’Barek, Mokhtar Trifi, Noureddine Hached... et autres figures emblématiques de la scène syndicale et politique. Mais ceux qui ont brillé par leur absence, ce sont les leaders de l’opposition. Selon quelques présents, un ratage monumental. Dommage. «L’Ugtt est la seule véritable force du pays», «Le peuple en a marre des nouveaux Trabelsi dans le pays», «Fidèles, fidèles au sang des martyrs»...

15 heures, les choses tournent au vinaigre. On l’apprend que notre collègue de Kalima a été violenté par un agent de police en civil. Les agents de sécurité sont entrés en ligne à leur manière. Des manifestants ont été tabassés, d’autres arrêtés..., du gaz lacrymogène enveloppe l’avenue, la foule se disperse dans les rues voisines, d’un côté et des jets de pierres de l’autre... de la matraque et gaz lacrymogène et c’est le jeu au chat et à la souris.

D’après nos estimations, près de 10.000 manifestants ont répondu à l’appel de l’Ugtt. En même temps, on apprend qu’une autre marche a eu lieu à Sidi Bouzid. Une démonstration de solidarité comptant entre 1.000 et 2.000 personnes. Dans les rues de Tunis, en ce temps printanier, les promeneurs ont préféré s’éclipser en attendant que le calme revienne...