Sous un beau soleil printanier, des groupes de manifestants proches d'Ennahdha se sont rassemblés sur l'avenue Habib Bourguiba à Tunis, au quartier des Berges du Lac et devant l'Etablissement de la télévision. Pour dire que le gouvernement est "victime" de l'opposition, des médias, des syndicalistes, etc.

Par Zohra Abid


Il y a à peine trois jours, des blogueurs ont lancé sur les réseaux sociaux un appel pour un «Jomoaât himayet al-chariya» (Vendredi de la protection de la légalité), au centre-ville de Tunis, le 2 mars. Les messages échangés étaient parfois menaçants. Et c’est le moins que l’on puisse dire. Car on avait lu, ça et là, de véritables appels à la haine et à la division. L’appel à manifester pour soutenir le gouvernement contre l’Union générale tunisienne du travail, les partis de l’opposition, les «ilmaniyin» (laïcards), les «hizb frança» (parti de la France), les ‘‘0,000’’, etc., ont, certes, bien circulé, mais ont-t-ils été vraiment suivis ? A priori, pas vraiment, si l’on en juge par le nombre de manifestants rassemblés, vendredi après-midi, après la grande prière du vendredi, sur l’Avenue Habib Bourguiba, au centre-ville de Tunis. Doit-on le regretter ou s’en réjouir ?

Une manif à Tunis, rien de plus banal

A l’heure indiquée, sous un beau soleil printanier, il y a eu du monde à l’avenue. Simplement du monde, ni plus ni moins. A gauche comme à droite, les cafés bondés. Autour des tables, sous les parasols, on se paye après le déjeuner, un petit café, un thé à la menthe, un soda et même une ou deux boules de glace avant de reprendre le travail. Un petit moment de repos tout en scrutant du regard les promeneur(e)s passer et repasser. Les uns se baladant avec des sacs remplis d’articles soldés (en 2ème démarque), d’autres se trimbalant les mains vides, et d’autres avec leurs banderoles et affiches qui protestent... Le spectacle est devenu presque banal. Car, les manifestations à Tunis sont devenues, depuis un an, le pain quotidien des Tunisiens, et ne surprennent plus personne. Sauf lorsqu’il y a des milliers de manifestants et des accrochages, là, ça interpelle.

Le spectacle est devenu presque banal.

Un petit tour et puis s’en vont

Une poignée d’hommes et de femmes par-ci, une autre grappe d’une douzaine de protestataires par-là. Quelques uns en rangs dispersés, d’autres conduits par l’un des leurs. Dans la bretelle du centre, un petit cortège de militants d’Ennahdha de quelques dizaines vouant les médias à toutes les gémonies. Le plus grand nombre de manifestants, quelques centaines, se sont rassemblés au pied de la bâtisse du Théâtre municipal de Tunis. Là ça fait un peu plus de bruit. Des éléments dans un état second crient leur colère contre l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt) ainsi que l’opposition et les «mauvais perdants» et tous ceux et celles qui critiquent le gouvernement et les traitant de tous les noms. Des centaines d'autres manifestants, venant de la mosquée El Fath, au quartier Le Passage, ont été empêchés par les agents de l'ordre de poursuivre leur marche jusqu'à l'avenue Bourguiba. Ils appelaient à l'instauration de la charia. Ils ont dû rebrousser chemin...

Pour le «Vendredi de la protection de la légalité», la mobilisation a été plutôt faible. Les quelques centaines de personnes éparpillées ça et là, n’ont pas vraiment attiré l’attention. Les forces de sécurité quadrillant la place n’ont pas eu à intervenir. Les protestataires – progouvernementaux – ont hissé leurs affiches, manifesté un peu plus d’une heure, puis rebroussé chemin.

Troïka avance, le peuple vous suit

Sur les affiches, on lit, en arabe dialectal ou littéraire : «Zéro, zéro, zéro âla barra» ; «Ya hkouma sir sir, chaâb tounes maâk maâk», «Ya hkouma sir sir, chaâb tounes meslmim» ; «Chaâb tounes hor hor, welyassar khor tor» ; «Chaâb tounes meslmin la Marx la Lénine»... Traduire : «Zéro, zéro, zéro – allusion aux partis qui n’ont pas gagné les élections du 23 octobre – tous dehors» ; «Gouvernement légal avance, le peuple est derrière vous», «Avance, avance… le peuple tunisien est musulman» ; «Le peuple tunisien est libre, la gauche à côté de la plaque» ; «Le peuple est musulman, ni de Marx ni de Lénine...

On avait parlé d’un million de manifestants. Là, on a été très loin du compte.

En face de cette foule, quelques personnes du camp adverse. D’autres paroles, d’autres slogans et d’autres refrains. Quelques agressions verbales, mais personne n’est allé plus loin...

D’après l’appel lancé le 28 février sur les réseaux sociaux, on avait parlé d’un million de manifestants. Là, on a été très loin du compte. Il faut dire qu’un certain nombre de manifestants, les barbus habillés de qamis afghan, sont allés aux Berges du Lac. Le matin, ils ont observé un sit-in devant l’ambassade des Etats-Unis pour protester contre les abus des Occidentaux en Afghanistan, et notamment contre les soldats américains ayant brûlé le Coran. D’autres sont allés manifester encore une fois devant l’Etablissement de la télévision tunisienne, sur les hauteurs du Belvédère. Pour eux aussi, l’urgence est d’assainir le secteur des médias.

Mais où sont passés les médias ?

Alors que les manifestants étaient en train de déclarer notamment la guerre aux journalistes, ces derniers étaient en train de passer en revue les dépassements du nouveau gouvernement (insultes, humiliations, agressions...) et de discuter de leur avenir dans l’hôtel d’en face. Des centaines de journalistes ont répondu à l’appel de leur Syndicat et parlé du gouvernement qui veut les museler, des directeurs de maisons de presse qui ont vite tourné leurs vestes, de leurs collègues qui ont changé d’adresse, préférant se ranger avec la partie debout et de plein de petits problèmes qui nuisent à l’image du secteur... A les entendre, il n’y aura pas de retour en arrière.

Ils ont enfin goûté à la liberté après des décennies d’oppression. Quant à leur linge sale, ils disent vouloir le laver dans leur maison et s’en occuper à leur façon. Car, il est vrai que plusieurs parmi eux étaient impliqués avec l’ancien régime. «Mais que ce gouvernement le sache, une fois pour toutes : la presse tunisienne ne se prosternera plus devant personne», a résumé un jeune journaliste.

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