À l’initiative de deux eurodéputés, une conférence sur le thème : «La Tunisie face à l’expérience démocratique» s’est tenue, mardi 20 mars, au Parlement européen, à Bruxelles (Belgique).

Par Wajdi Khalifa, correspondant Bruxelles.


L’idée de cette conférence a été lancée par l’eurodéputée franco-algérienne Malika Benarab-Attou, lors d’un séjour de travail à Tunis, il y a quelques mois. Elle a rapidement été soutenue dans son projet par son collègue espagnol l’euro-député Vicent Garcès mais aussi par l’Assemblée des Citoyens et Citoyennes de la Méditerranée et d’autres associations.

La réunion s’est organisée autour de différents panels consacrés à plusieurs thèmes et notamment les relations tuniso-européennes, la société civile tunisienne et les enjeux politiques de la transition démocratique.

Des membres de l’Assemblée nationale constituante (Anc), représentants de la société civile, dirigeants de l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt), universitaires et étudiants ont fait spécialement le déplacement depuis la Tunisie pour assister à cette journée.


Vincent Geisser et Kamel Jendoubi.

«La Tunisie a besoin de l’UE et l’UE a besoin de la Tunisie»

La rencontre a débuté sur les perspectives du partenariat Tunisie-Union Européenne, en présence de Ridha Farhat, ambassadeur de Tunisie auprès de la Belgique, du Conseil de l’Union Européenne et de la Commission européenne, et de Bernardino Leon, représentant spécial pour l’UE auprès des pays de la rive sud de la Méditerranée.

Les deux intervenants ont réaffirmé la volonté des deux parties de renforcer leur partenariat et celle de Bruxelles d’accorder à la Tunisie un cadre privilégié dans sa relation avec l’UE, via notamment le fameux «statut avancé», demandé par la Tunisie depuis plusieurs années, mais pas vraiment discuté, en raison de l’entêtement de l’ancien régime à passer outre les droits de l’homme. Le représentant Bernardini Leon a conclu son intervention par ces mots : «La Tunisie a besoin de l’UE et l’UE a besoin de la Tunisie».

Des mots, certes, mais il appartient aux nouveaux dirigeants tunisiens de les transformer en actes, en proposant notamment des projets de partenariat réalistes et concrets.

Les discussions se sont par la suite poursuivies avec Kamel Jendoubi, le président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), qui a donné sa vision sur la situation actuelle en Tunisie.


La Tunisie au menu des débats des eurodéputés.

«Des personnes dangereuses ont bénéficié, à tort, de l’amnistie»

Sur la question des salafistes, qui a fait l’objet de nombreux débats, le président de l’Isie a rappelé que ces derniers étaient déjà présents sous Ben Ali (estimés à 1.800 à l’époque) et qu’il les avait lui-même défendus par le passé pour leur garantir le droit à un procès équitable et dénoncer la torture exercée à leur encontre. Il a, par la suite, précisé que le contexte tendu actuel s’explique en partie par le fait que «des personnes dangereuses pour la société, avec qui le dialogue n’est pas possible, ont bénéficié, à tort, de l’amnistie politique».

Pour le reste, Kamel Jendoubi a tenu un discours plutôt optimiste en précisant que les libertés d’expression et de la presse étaient garanties, même si des tensions pouvaient exister par moments. Il a tenu à relativiser le poids d’Ennahdha qui ne pèse «que» 34%, et a rappelé que quatre millions de Tunisiens ne s’étaient pas exprimés lors des dernières élections. Il a appelé à être vigilants et à ne pas tomber dans une vision tronquée de la réalité, en citant, à titre d’exemple, les tentations d’autoritarisme dont ont fait montre des ministres de l’actuel gouvernement, dont certains ne sont pas issus du parti d’Ennahdha.

«Monde arabe et démocratie ne sont pas incompatibles»

Vincent Geisser, le célèbre chercheur français du Cnrs, qui était interdit d’entrée en Tunisie sous Ben Ali pour avoir dénoncé les abus du régime, est intervenu pour apporter un soutien à Kamel Jendoubi et dénoncer les attaques dont a pu faire l’objet le président de l’Isie dans un passé récent, notamment sur les réseaux sociaux.


L'exposition de Z au Parlement européen à Bruxelles.

Pour le chercheur français, qui a vécu cinq années en Tunisie, les salafistes tunisiens sont soutenus par des pays étrangers et notamment l’Algérie, qui veulent faire échouer la transition démocratique en Tunisie. Il a appelé les Tunisiens à se focaliser sur les véritables enjeux du moment pour faire réussir cette révolution et prouver à l’Occident que «monde arabe et démocratie ne sont pas incompatibles».

Vincent Geisser a réfuté le rôle déterminant des Etats-Unis dans la révolution tunisienne, et a précisé que les dirigeants américains étaient plutôt favorables à une transition interne en Tunisie par un remplacement de Ben Ali par son ancien ministre des Affaires étrangères, Kamel Morjane. Pour le chercheur du Cnrs, c’est l’Etat et l’administration, en sus de l’armée, qui ont permis à Ben Ali de «dégager» ; ce qui renforce l’attachement des Tunisiens à l’Etat-providence et aux services publics.

Par la suite une table-ronde a réuni les députés Zied Ladhari (Ennahdha), Mabrouka M’barek (Cpr), Karima Souid (Ettakatol) et la syndicaliste Emna Aouadi (Ugtt) autour des enjeux de la transition démocratique.

Les députés ont exprimé les raisons de leurs engagements personnels et leurs visions pour l’étape actuelle et notamment la question de la place de la chariâ dans la future constitution. Les différents intervenants ont unanimement consacré la chariâ comme source du droit tunisien, mais la représentante du Cpr a exprimé son refus et celui de son parti de l’inscrire comme principale source de la constitution, car cela mènerait «à ouvrir une boite de pandore» et la Tunisie n’a pas de temps à perdre dans ce genre de débat.


Affiche de la conférence.

Le représentant d’Ennahdha a avoué que son parti n’avait pas pris une position claire sur la question, et qu’un débat interne était ouvert pour arrêter une position très prochainement. Sur le problème des salafistes, ce dernier a insisté sur la nécessité d’y apporter une solution légale. Il a cependant demandé à ne pas traiter différemment les actes illégaux des salafistes de ceux des autres manifestants lors des rassemblements et des sit-in par exemple.

La rencontre de Bruxelles a donc été l’occasion de débats, parfois houleux mais francs, dans un climat démocratique et pluriel au sein de l’institution européenne la plus représentative des citoyens européens.

La journée a aussi été marquée par le vernissage de l’exposition du célèbre blogueur et caricaturiste tunisien «Z», au sein même du Parlement européen.