Deux tentatives de manipulation et de désinformation, vendredi, n’avaient qu’un seul but : provoquer un malentendu entre Tunis et Paris. Simple coïncidence ou… complot, pratique devenue véritable sport national ?

Par Imed Bahri


 

 

Qui cherche à enfoncer un coin entre la Tunisie et la France ? A quel dessein ? Et pourquoi maintenant ? Au moment où le pays cherche à mobiliser ses partenaires traditionnels pour l’aider à traverser sans encombre cette difficile phase transitoire ?

Ces questions se posent alors que des tentatives de désinformation et de manipulation se multiplient, avec pour seule finalité : susciter des malentendus entre les deux pays.

Première tentative de désinformation

Un journal électronique en manque de visibilité publie, jeudi, une information selon laquelle le président Moncef Marzouki aurait donné une interview à une chaîne de télévision russe, sans la nommer bien sûr, où il aurait déclaré que le terrain sur lequel est sise l’ambassade de France à Tunis appartient à la Tunisie et que son gouvernement a l’intention de le récupérer afin d’y ériger une mosquée. Sachant que l’ambassade, située à l’avenue de France, au centre-ville de Tunis, est juste en face de la cathédrale de Tunis, l’érection d’une mosquée dans le même endroit prendrait une lourde signification aux yeux de certains, dont on imagine aisément l’idéologie politique.


Ben Jaafar et Juppé

L’information était si grossière que nous nous sommes gardés de lui donner le moindre crédit ou de la vérifier avec le service de presse de la présidence : M. Marzouki est certes capable de faire des déclarations intempestives voire provocatrices – Dieu sait qu’il en a faites et de bien belles ! –, mais pas au point de débiter une énormité pareille.

Par ailleurs, la volonté de désinformation est évidente, car l’auteur du torchon en question (le mot article serait inexact) n’a pas cité de source précise et fiable : une vague chaîne de télévision russe. Allez chercher, et bon courage !

Le démenti attendu n’a donc pas tardé : le service de presse de la présidence de la République a, en effet, publié un communiqué, vendredi, où il dément formellement que le président ait donné une déclaration sur le désir de la Tunisie de reprendre le siège actuel de l’ambassade de France.


Juppé reçu par Jebali

La présidence s’emporte même contre les médias qui ont colporté le «mensonge», dénonce «la machine à fabriquer des rumeurs et des contre-vérités», «déplore l’absence flagrante d’éthique et de professionnalisme chez de pseudo-journalistes qui inventent de toutes pièces ces mensonges ou les colportent sans la moindre retenue», et, enfin, appelle les «journalistes dignes de ce nom de toujours vérifier leurs informations sur le président auprès du porte-parole officiel qui est toujours à leur disposition».

Les mots, pour le moins durs et sans concession, sont à la mesure de la colère suscitée chez M. Marzouki et ses collaborateurs par ce qu’il faut considérer comme une désinformation dont la visée manipulatrice est on ne peut plus évidente.

Tentative de manipulation de l’opinion

Le même jour, jeudi, dans une vidéo circulant sur les réseaux sociaux, un groupe de personnes parlent d’un responsable d’une entreprise français qui aurait enlevé, froissé et jeté le drapeau national. Le soir, le télé-journal de 20 heures de Wataniya 1 donne la parole à ces personnes, sans vérification aucune : outrage au drapeau national par un homme d’affaires français ? Pas moins. Ce n’est pas là une information : c’est de la dynamite.

Le lendemain, la direction générale de l’entreprise en question, Tunisie Catering en l’occurrence, publie un communiqué où elle dément formellement toute profanation du drapeau tunisien par l’un de ses cadres. Le communiqué relate les faits réels, qui ont un arrière fond syndical : «Tunisie Catering était hier (jeudi, Ndlr) visitée par une compagnie cliente susceptible de conclure un contrat. Dans ce cadre, et lors de son passage dans les couloirs, notre directeur opérationnel a constaté la présence d’un affichage syndical dans un lieu non prévu à cet effet (hall d’accès à nos bureaux) alors que des panneaux existent spécialement pour cela. Cet affichage a été simplement retiré de l’endroit où il était placé pour être remis à l’administration. Le support d’affichage était composé d’un fond de drapeau sur lequel avaient été inscrites des revendications notifiées au feutre noir. Rien de plus ne s’est passé».


Siège de l'ambassade de France à Tunis

Les responsables de Tunisie Catering, qui se disent navrés de l’exploitation faite de l’événement, ajoutent : «En aucun cas il n’y a eu une intention de manque de respect au drapeau tunisien et l’exploitation de ce fait nous interpelle et nous attriste profondément. La scène a été filmée par les caméras de surveillance et rendue publique pour permettre à chacun de se faire sa propre idée sur le sujet.»

Voilà pour les faits. Reste que ces deux événements – avec des histoires montées de toutes pièces et ayant la même cible : la France –, interviennent au moment où des voix s’élèvent pour appeler à couper la Tunisie de son environnement naturel méditerranéen, à dénoncer un complot contre le gouvernement fomenté par des éléments de l’opposition activement soutenus par des chancelleries occidentales, et toute une littérature contre la francophonie, Hizb França, les orphelins de la France, etc.

Le poids de la France en Tunisie

Sans jeter la pierre à un parti ou à une tendance politique particuliers, il convient de souligner ici la gravité de pareilles tentatives pour nuire aux relations de la Tunisie avec ses partenaires étrangers, qu’ils soient d’Orient ou d’Occident. Car, en cette période difficile, marquée par des difficultés économiques et sociales quasi-insurmontables, pour le gouvernement comme pour l’opposition qui se bousculent au portillon, notre pays a besoin de mobiliser tous ses partenaires et de chercher leur appui à ses programmes de relance. Et la France, avec laquelle la Tunisie a des relations historiques très développées, est le partenaire étranger le plus précieux, aujourd’hui, pour la Tunisie. Et pour cause : la France est le premier client, le premier fournisseur, le premier investisseur extérieur et le premier pays pourvoyeur de touristes et le premier demandeur de main d’œuvre tunisienne. Elle est également le pays étranger qui accueille la plus forte communauté tunisienne à l’étranger et qui, de ce fait, représente la plus importante part des transferts financiers des Tunisiens à l’étranger.

Autant dire que nuire aujourd’hui aux relations entre la Tunisie et la France, c’est nuire, d’abord et surtout, à la Tunisie et aux perspectives de réussite de la transition démocratique qui y est aujourd’hui en cours.

Par-delà les critiques que l’on pourrait adresser à la France pour ses soutiens antérieurs aux dictateurs de Carthage, et qui sont tout à fait légitimes, il convient donc de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain.