Entretien avec Kader Arif, membre du bureau national du Parti Socialiste français, eurodéputé et responsable des questions de coopération dans l’équipe de campagne présidentielle de François Hollande.

Propos recueillis par : Jamel Dridi


Kapitalis : Quel est votre rôle au sein de l’équipe de campagne de François Hollande ?

Kader Arif : La direction de campagne a été structurée par François Hollande en une vingtaine de pôles thématiques. J’ai le plaisir d’animer et d’assurer la responsabilité du pôle coopération-développement. C’est une confiance qui m’est accordée et à laquelle je suis sensible au-delà de mon engagement ancien auprès de François Hollande.

Kader Arif (au 2e rang) et François Hollande

Lors d’un discours récent à Dakar, vous avez fustigé la Françafrique (refus des Africains d’être traités avec condescendance, etc.), pouvez-vous développer ce point ?

Nous voulons répudier les miasmes de la Françafrique. Cette Françafrique a de multiples facettes : diplomaties parallèles, complaisance avec des autocrates, relations financières opaques entre Nord et Sud, affaire dite des «biens mal acquis»... Elle ne se résume donc pas à l’exploitation de ressources naturelles, qui est sans doute le sujet le plus souvent mis en avant. Nous devons toutefois, c’est l’évidence, faire des efforts pour rendre bien plus transparentes les relations entre Etats du Nord et du Sud.

Si François Hollande était élu, mettrait-il fin à cette françafrique ? Et comment ?

De nombreuses Ong souhaitent ainsi que les grandes entreprises, françaises ou étrangères, publient leurs comptes pays par pays et indiquent le montant précis des versements qu’elles effectuent aux trésors nationaux. Cette proposition me semble aller dans le bon sens.

Par ailleurs, comme indiqué dans nos 60 engagements pour la France, nous proposerons aux Africains une relation fondée sur l’égalité, la confiance, et la solidarité. Ce nouveau partenariat passera par une définition claire de nos priorités.

Le partenariat avec la rive sud de la Méditerranée et l’Afrique subsaharienne sera central. J’appelle en effet à un renforcement de nos relations avec l’Afrique, qui est un continent d’avenir. Mais il nous faudra travailler d’abord avec des gouvernements légitimes, ceux qui gouvernent dans le respect des libertés et des droits humains.

Le gouvernement sortant a trop souvent fait preuve face à des situations de violation caractérisée des droits de l’homme ou des principes démocratiques. Nous devons aussi faire davantage confiance aux Africains eux-mêmes pour régler les questions qui les concernent : je crois dans les vertus des médiations africaines et de l’Union africaine (ou des Unions sous-régionales), pour être au premier plan lorsqu’une crise sécuritaire survient. Enfin, nous devons avoir confiance en notre diplomatie, et éviter à tout prix les diplomaties parallèles, qui décrédibilisent l’action normale et légitime des services de l’Etat. Le temps des intermédiaires officieux est derrière nous.

Francois Hollande avec Kader Arif, le 24 novembre 2007 à Avignon

Quel est votre regard sur les événements qui ont eu lieu en Tunisie ?

Je pense que les événements qui ont marqué la Tunisie ont une portée historique à plusieurs titres. D’abord, c’est une révolution démocratique authentique. Dès le début, après la mort du jeune Bouazizi, les Tunisiens ne se sont pas contentés de dénoncer la répression policière ni même de limiter leurs exigences à des revendications uniquement sociales, ils ont demandé la fin de la dictature. Le mot d’ordre de la révolution tunisienne «Dégage !» a inspiré très vite d’autres peuples arabes en devenant un élément de ralliement de lutte contre toutes les dictatures.

En visitant la Tunisie en compagnie de François Hollande, j’ai été frappé par la fierté qui habite les Tunisiens que nous avons rencontrés. Ce sentiment de fierté est dû au fait qu’ils ont accompli leur révolution en toute indépendance. A ce titre je peux qualifier la révolution tunisienne comme une nouvelle forme du mouvement de libération nationale.

Les premières élections libres qui se sont tenues le 23 octobre ont confirmé la volonté du peuple tunisien de tourner la page sombre de l’ère Ben Ali. Je respecte le choix exprimé par ce suffrage. La Tunisie est désormais engagée dans un processus transitoire d’approfondissement de la démocratisation de la vie politique et de la société qui passe par la rédaction d’une nouvelle constitution démocratique et l’organisation des prochaines élections. Evidement, la tâche n’est pas facile et les forces de réaction ou obscurantistes pourraient créer des difficultés. Je reste néanmoins optimiste sur l’avenir de la Tunisie, sur l’issue des débats constitutionnels en cours et sur l’orientation qu’ils donneront à l’avenir du pays.

La Tunisie a souffert de l’absence de clairvoyance des politiques durant «l’ère Sarkozy» en soutenant activement et passivement Ben Ali, comment ne plus répéter ce type d’erreur ?

La droite française a toujours eu une attitude complaisante vis-à-vis du régime de Ben Ali. Si une ministre de Nicolas Sarkozy est allée jusqu’à proposer à Ben Ali l’aide de la France pour le maintien de l’ordre alors que la révolution était en marche, on se souvient d’un autre président français de droite, Jaques Chirac parlant du respect des droits de l’homme en Tunisie lorsqu’il portait ce jugement : «Le premier des droits de l’homme c’est manger, être soigné, recevoir une éducation et avoir un habitat. De ce point de vue, il faut bien reconnaître que la Tunisie est très en avance sur beaucoup de pays».

En terme idéologique, l’idée que l’islam est incompatible avec la démocratie et que, par conséquent, nous ne pourrions être très exigeants sur ce point avec les régimes arabes, n’est pas totalement absente dans l’attitude de certains de nos dirigeants.

Affiche de campagne de Kader Arif pour le Parlement européen

Cette attitude de la droite française a pour origine, si on la résume, deux approches : d’une part, elle a adopté une attitude paternaliste et protectrice vis-à-vis de la Tunisie et, d’autre part, elle pensait que dans la période où l’islamisme radical menaçait la sécurité en France et les intérêts français dans le Maghreb et l’Afrique sub-saharienne, les régimes autoritaires et policiers tel que celui de Ben Ali constituaient un rempart. Une approche uniquement fondée sur la maîtrise du flux migratoire allait dans le même sens.

Au moment où en France on agite le «chiffon rouge musulman» notamment à droite à des fins électoralistes, le discours de François Hollande se veut plus apaisé et rassembleur. Y a-t-il une approche différente de l’islam chez les socialistes ?

L’islam est la deuxième religion en France. Les musulmans de France pratiquent un islam qui est respectueux des valeurs de la république, notamment de la laïcité.

Cependant, la France, comme beaucoup d’autres pays, a connu ces dernières années des difficultés qui sont l’œuvre d’une minorité de gens qui, pour des raisons différentes, ont une pratique de la religion qui n’a rien avoir avec les lois de la république ni avec les vrais préceptes de l’islam.

Il faut mettre hors d’état de nuire ceux qui sont en contact avec des organisations terroristes étrangères, qui se sont radicalisés et qui constituent une menace pour la sécurité et la cohésion nationale.

Cependant, je rejette l’amalgame fait entre des actes individuels d’un ou de quelques individus et l’islam, religion regroupant plus de cinq millions de nos concitoyens.

Malheureusement, il existe en France des partis ou des individus qui, à des fins purement électoralistes, exploitent des événements extrêmement douloureux, comme l’acte criminel d’un jeune désaxé à Toulouse, pour stigmatiser une religion et diviser les Français.

En cas de victoire de François Hollande, et en tant que spécialiste de la coopération, M. Arif, comment voyez vous les relations futures entre la France et le Maghreb ? Et entre la France et la Tunisie ?

Dans le projet de politique étrangère que porte François Hollande, le Maghreb occupe une place de toute première importance. La jeunesse parle souvent d’une politique ambitieuse en terme de coopération entre les deux rives de la Méditerranée.

Mais le Maghreb n’est pas seulement notre voisin, et nous partageons beaucoup de choses. Nos relations anciennes avec lui ne se limitent pas uniquement aux heures sombres de la colonisation. D’autres ponts relient désormais la France avec le Maghreb. Beaucoup d’enfants du Maghreb sont maintenant partie-prenante de l’identité et du devenir de la nation.

C’est la raison pour laquelle la politique de coopération que les socialistes mettront en œuvre, en cas de victoire à la présidentielle, sera non seulement ambitieuse mais tiendra aussi compte des liens historiques qui relient nos peuples et nos sociétés.

Nous avons vu que, par manque de volonté et de clairvoyance, le processus de Barcelone n’a pas pu atteindre ses objectifs. Promu au lendemain des accords d’Oslo en 1995, il s’est heurté à une paix juste non trouvée entre les Palestiniens et les Israéliens, tandis que l’Etat palestinien n’a toujours pas vu le jour.

Le volet démocratie et droits de l’homme a été ignoré. L’Union pour la Méditerranée (UpM), lancée quant à elle sans consultation, s’est trouvée vite dans l’impasse. L’Union européenne (UE), l’Allemagne en particulier, la considérant comme un projet essentiellement français, ne l’a pas accompagnée. Les structures politiques de l’UpM ont fait la part belle aux dictateurs tels que Ben Ali et Hosni Moubarak en ignorant une fois de plus le rôle des sociétés civiles, si bien que cette «Union» est passée à côté de la grande révolution que le monde arabe a connu depuis l’indépendance.

Il nous faut définir, en commun, c’est-à-dire avec nos amis de la rive sud-méditerranéenne, la base d’une communauté euro-méditerranéenne politique et citoyenne. Nous pouvons aussi redynamiser le partenariat 5+5, qui viendrait renforcer le noyau de cette communauté, en créant une Banque euro-méditerranéenne, apportant ainsi un soutien consolidé à la croissance, à l’emploi et à l’entrepreneuriat.

Nous pouvons également travailler avec nos partenaires maghrébins sur des priorités telles qu’une politique euro-méditerranéenne de l’eau, de l’énergie et de l’agriculture.

Il est évident que dans cette politique de coopération, fondée sur le respect, la confiance, l’égalité et la solidarité, la jeune démocratie tunisienne a une place particulière.

 

Bio-express de Kader Arif

Militant socialiste depuis 1983, aujourd’hui député européen et élu local à Toulouse, en charge des relations internationales et européennes.

Né à Alger, Kader Arif a grandi à Castres dans le Tarn, terre d’adoption et d’intégration. Il réside depuis plus de 25 ans en Haute-Garonne où il a occupé le poste de 1er Secrétaire départemental du Parti Socialiste de 1999 à 2008.

Membre de la direction nationale du Parti Socialiste depuis 2000, il partage son temps entre son engagement de conseiller municipal et ses fonctions au Parlement Européen (membre de la commission du commerce international, de la commission économique de l’Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne, de la délégation du Parlement européen avec les pays du Maghreb et premier vice-président de l’Assemblée parlementaire paritaire Acp-UE).

Marié, père de 3 enfants, «mon parcours est celui d’un militant qui a eu la chance d’avoir le soutien des siens et des concitoyens», souligne Kader Arif. Il ajoute : «Ma vie politique est marquée par la rencontre avec deux hommes : Lionel Jospin et François Hollande.»