La question est d’autant plus légitime que quelques centaines de citoyens ont pu y manifester mardi après-midi sans recevoir sur la tête des coups de matraque. M. Lârayedh est décidément devenu très imprévisible.

Par Zohra Abid


L’avenue Habib Bourguiba était interdite, lundi, aux manifestations, lorsque la police a dispersé, à coups de matraques et bombes lacrymogènes, des citoyens venus faire une marche pour commémorer la fête des Martyrs.

Elle n’est plus interdite aujourd’hui, puisque cette même police a laissé un groupe de manifestants, aux premiers rangs desquels se trouvaient des membres de l’Assemblée nationale constituante (Anc), traverser la même avenue, presque de bout en bout, au cri de «La rue appartient au peuple».

Un laxisme impardonnable, dirait un dur à cuire de l’entourage de Ali Lârayedh, ministre de l’Intérieur.

Me Mokhtar Trifi et ses collègues avocats ont répondu présent.

Un important dispositif sécuritaire était pourtant déployé avec des agents en uniforme et d’autres en civil, soutenus par d’étranges badauds dont le rôle se résumait à insulter les manifestants tout au long du parcours.

Les constituants au premier rang des manifestants.

Main de fer dans un gant de velours

Mais que s’est-il passé entre lundi et mardi pour rendre possible ce changement à 360 degré, de l’implacable fermeté à l’indulgente permissivité.

Après le tollé général provoqué hier par les violences policières infligées aux manifestants, les autorités sécuritaires semblent avoir donné des instructions aux policiers de contenir la marche, d’autant que le nombre des manifestants se réduisait à quelques centaines. Il faut dire aussi qu’il y avait plus d’«encadreurs» que d’«encadrés»: le risque de dérapage était donc limité.

Comme au temps de Ben Ali, les "encadreurs" plus nombreux que les "encadrés". Merci qui?

Ce changement d’attitude peut-il s’expliquer par une meilleure disposition d’Ali Laârayedh à l’égard de l’opposition? A moins qu’il ne s’agisse d’un recul tactique pour amortir le choc que le «lundi noir» a provoqué dans l’opinion publique nationale et internationale.

De mystérieux badauds accompagnent les manifestants, en leur lançant quelques "amabilités" .

En soufflant ainsi le chaud et le froid, le ministre de l’Intérieur ne fait que conforter sa politique de main de fer dans un gant de velours.

Petite victoire pour la société civile

Pour revenir à la manifestation, on peut dire aussi que les représentants de l’opposition et de la société civile ont remporté une petite victoire en obligeant les locataires de la bâtisse grise de l’avenue Habib Bourguiba à faire marche-arrière et à accepter une entorse aux règles qu’ils ont voulu imposer.

Car, reculade, il y a eu, et c’est tant mieux. Cela aidera peut-être à calmer momentanément les esprits. Les surenchères, on sait où cela pourrait conduire.

Pour conclure, deux petites remarques s’imposent. D’abord, les personnalités qui ont pris part à la manifestation – notamment Issam Chebbi, Fadhel Moussa, Khemaies Ksila, Iyad Dahmani, Mokhtar Trifi, Salma Baccar, Abdelawahab El Hani… – ont tous eu pour leur grade.

Des milices dites-vous? Non, des "badauds de service" auxquels il va falloir s'habituer...

Des cris de pseudo manifestants du genre «Rcdiste dehors» ou «Vos partis sont fiancés par l’argent de la drogue» étaient lancés en leur direction.

Ça n’a pas dû être facile à des militants longtemps réprimés par Ben Ali et le Rcd d’encaisser pareilles insultes. Aucun d’entre eux n’a commis l’erreur de riposter à ces provocations gratuites qui déshonorent leurs auteurs.

Des fleurs aux bombes lacrymogènes

Par ailleurs, la manifestation s’est déployée sans encombre. Bien encadrée par la police, elle s’est déployée sur le terre-plein central, de la statue d’Ibn Khaldoun jusqu'au niveau du ministère de l’Intérieur.

Des deux côtés de l’avenue, les cafés, restaurants, commerces, guichets des banques étaient ouverts et les gens vaquaient à leurs occupations presque normalement, comme cela s’est déjà passé à plusieurs reprises auparavant, notamment le 14 janvier, lors de la célébration du 1er anniversaire de la révolution, ou le 20 mars, lors de la manifestation de l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt) à l’occasion de la fête de l’indépendance.

Ce jour-là, on avait même vu des policiers offrir des fleurs aux manifestants. Pourquoi, le 9 avril, ces mêmes policiers ont-ils troqué les fleurs contre des matraques et des bombes lacrymogènes?