«Les journalistes devraient se réconcilier avec la révolution», a déclaré Hamadi Jebali, qui présentait le programme de son gouvernement ce matin à l’Assemblée constituante. Un triple mensonge qui déshonore son auteur…
Par Ridha Kéfi
Cette petite phrase est une nouvelle (grosse) pierre jetée dans la mare des relations déjà largement conflictuelles entre le gouvernement conduit par le parti islamiste Ennahdha et les journalistes, en tout cas la majorité d’entre eux qui refusent de se prosterner aux pieds du nouveau régime et de lui servir la soupe.
Le triple mensonge de Jebali
Le chef du gouvernement, si on a bien compris la véritable teneur de ses mots, dit à peu près ceci: «Les journalistes sont opposés à la révolution», cette révolution dont lui et son parti estiment être aujourd’hui l’incarnation.
Et c’est là, comme on le montrera ci-dessous, un triple mensonge.
D’abord, parce qu’un grand nombre de journalistes tunisiens ont souffert le martyre sous l’ancien régime et ont contribué largement à sa chute. Cette phrase est une insulte à leur courage et un déni des sacrifices qu’ils ont consentis.
Ensuite, parce que le parti Ennahdha et les islamistes en général, bien qu’ils aient été réprimés par l’ancien régime, emprisonnés ou exilés, n’ont eu aucun rôle dans la révolution proprement dite. Il suffit de revoir les photos et les vidéos immortalisant les événements du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011, pour se rendre compte de leur… absence. Ils n’étaient nulle part, ni à Sidi Bouzid, ni à Kasserine, ni à Menzel Bouzaiane, ni à Thala, ni à Sfax, ni à Tunis. Ils ont récupéré la mise plusieurs mois après en utilisant les moyens de la démagogie religieuse, des promesses fallacieuses et, disent certains, de l’argent.
Le big deal: impunité contre allégeance
Trois: c’est le gouvernement dominé par Ennahdha qui est en train de trahir la révolution. N’est-il pas en train de passer un deal avec les symboles de l’ancien régime dans les secteurs les plus pourris (police, médias, administration, magistrature, etc.) en vertu duquel ils bénéficieraient de l’impunité contre leur allégeance envers Ennahdha.
Est-ce un hasard que Hamadi Jebali et ses hommes : 1- s’allient, aujourd’hui, à certains anciens propagandistes de Ben Ali; 2- refusent de divulguer les noms des journalistes ripoux qui faisaient des rapports réguliers sur leurs confrères à la police politique et émargeaient sur la tristement célèbre Agence tunisienne de communication extérieure (Atce) et 3- tournent le dos aux journalistes patriotes qui ont lutté contre l’ancien régime et appellent aujourd’hui à un vrai assainissement du secteur?
Non, bien sûr. «Le fil du mensonge est court», comme dit un proverbe arabe, et les manœuvres du gouvernement et du parti Ennahdha pour mettre sous leur coupe les journalistes ne tarderont pas à faire pschitt, à commencer par la pseudo-consultation nationale sur le cadre légal du secteur de l’information, programmée vendredi et samedi, au siège de l’ex-Chambre des Conseillers, au Bardo, qui ne servira à rien, parce qu’elle ne sera qu’un nouvel écran de fumée, un leurre, une manœuvre sans lendemain…
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