On n’a jamais vécu un 1er mai dans la joie et surtout dans la spontanéité comme celui de cette année 2012. Il fallait se réapproprier la Révolution et dire que les aspirations communes relèvent de celles de chaque Tunisien.
Par Abdelmajid Haouachi
Quoi de plus normal qu’un défilé, grandiose soit-il, dans un pays tel que la Tunisie qui a vu naitre le premier syndicat du continent africain en 1924 à l’initiative d’une légende syndicale nommée M’hamed Ali El Hammi? Et pourtant, ce sont plutôt les décennies qui ont défilé sans que l’on assiste une seule fois à un défilé des forces vives de la nation digne d’un 1er mai. La Révolution du 14 janvier 2011 en a décidé autrement. Le 1er mai 2012 fut un vrai jour de fête pour la classe laborieuse et tous les travailleurs du pays.
Bourguiba avait horreur du 1er mai. Il répugnait l’image des ouvriers qui investissent, ce jour là, les boulevards les poings levés pour crier leur grogne contre l’exploitation de l’homme par l’homme. A ces slogans de classe contre classe Bourguiba opposait énergiquement celui de «l’unité nationale». Il faut dire que la pensée politique du «Combattant Suprême» rimait mieux avec la mentalité de la bourgeoisie mondaine qui avait coutume d’utiliser le qualificatif de «zouafria», dont le sens est, le moins qu’on puisse dire, péjoratif à l’égard les ouvriers (cette arabisation du mot français «ouvriers» signifie aujourd’hui bandits!).
Pourtant, Bourguiba vouait une admiration sans égale à M’hamed Ali El Hammi dont il disait dans ses mémoires: «Délaissant les cénacles, les parlottes vaines et les palabres sans lendemain, M’hamed Ali alla vers les ouvriers et se mit en devoir de les éduquer et de les organiser. Il alla les trouver sur les chantiers, dans les mines, dans les carrières… Il leur parlait dans leur langue et réussit à se faire comprendre. C’était commencer par le commencement, c’est-à-dire par la base. Ce fut son trait de génie.»
Par-delà les contradictions, qui sont le propre de Bourguiba, les travailleurs n’ont, de mémoire de quinquagénaire, jamais vécu un 1er mai dans la joie et surtout dans la spontanéité. Le 1er mai 2012 était donc très attendu surtout que son précédent de 2011 fut un grand gâchis en raison des aberrations des syndicalistes de gauche et de l’ex-direction syndicale.
Une succession d’événements assez graves dans le contexte tunisien actuel a posé des défis à tous les syndicalistes et les démocrates de tout bord. Estimant, à juste titre, que l’Union générales des tunisienne du travail (Ugtt) est un rempart incontournable contre toute menace visant les acquis des Tunisiens et leurs attentes de la Révolution, les syndiqués et les démocrates ont décidé d’être au rendez vous le 1er mai, histoire de prouver qu’ils sont là pour relever les défis.
Le 1er mai 2012, on en a parlé bien avant l’échéance. Dans les cafés dans les lieux de travail, dans les rencontres familiales les gens s’invitaient à cette fête. Outre le fait qu’ils voulaient signifier l’importance de la démonstration de vigilance, ils se réjouissaient de ce rendez vous dont ils furent sevrés de force des décennies durant. C’est comme s’ils renouaient avec une tradition ou un fantasme interdit qui devient réalité avec le vent de la liberté qui remplit nos espaces et nos cœurs…
Ce jours-là, ils étaient tous au rendez vous, ou presque tous… l’Ugtt tout comme les deux autres organisations syndicales de l’ère du pluralisme ont été à l’honneur. Le défilé était un vrai «d’origine» (authentique) comme on dit chez nous. Une marée humaine s’est répandue sur l’avenue Bourguiba. Des milliers? Des dizaines de milliers? Qu’importe le nombre exact ou approximatif dans cette multitude de couleurs, d’expressions et de slogans. Les étendards et les pancartes sont du genre collectif et individuel.
Les Tunisiens depuis le 14 janvier se délectent à écrire et à brandir leurs propres slogans. Une manière de s’approprier la Révolution et de dire que les aspirations communes relèvent inéluctablement de celles des individus pris isolément.