Dimanche soir, François Hollande a été élu président de la république, avec un peu moins de 52% des suffrages. Un peu plus tôt dans la journée, Charaf, Adem et Zina avaient voté, «après un quinquennat compliqué pour la communauté musulmane».
Reportage à Paris de Ramsès Kefi
En 2007, Charaf, 24 ans, avait voté Nicolas Sarkozy, «parce que lui, au moins, voulait agir, faire quelque chose». Depuis, il y a eu, pêle-mêle, le débat sur l’identité nationale, la polémique des civilisations inférieures et le scandale de la viande halal.
Le bulletin «Hollande» pour punir «Sarko»
Tous visaient la communauté musulmane et la plupart furent initiés par des ministres en poste. «La stigmatisation de l’islam a été blessante», explique le jeune chauffeur poids-lourds d’origine marocaine, sa carte électorale à la main. «Avec Sarko, c’était compliqué pour les Français comme nous.»
S’il était parti pour voter blanc ce dimanche, il confie avoir changé d’avis une fois dans l’isoloir et glissé un bulletin «Hollande», pour punir «Sarko». Un rayon de soleil lui fait plisser les yeux. Il tempère: «En tant que Français, je n’attends rien de ces personnalités de gauche qui ont toutes échouées. L’émergence de nouvelles têtes est nécessaire dans le paysage politique car nous n’avançons plus. En tant que Français musulman, je serais soulagé que Sarkozy s’en aille avec son équipe. Ils nous [les Musulmans, Ndlr] ont fait tellement de mal.»
Quelques mots sur le grand débat entre les deux finalistes de l’élection présidentielle, mercredi dernier? Pas grand-chose en fait. François Hollande et Nicolas Sarkozy ont passé leur temps à se tourner autour. Très peu de propositions finalement: le premier s’est contenté de critiquer, durant deux heures et demie, le bilan désastreux du second chaque fois que ce dernier l’attaquait.
Un groupe de jeunes franco-maghrébins avant de voter
L’islam, une diversion électorale
Souvent, depuis 2007 et l’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir, l’islam aura servi de diversion à la majorité présidentielle pour faire oublier ses promesses non-tenues. Pour masquer la crise, qu’elle a longtemps tue, mais aussi l’explosion du chômage ou la chute vertigineuse du pouvoir d’achat.
Alors, Charaf évoquera aussi «les fâcheux amalgames et approximations» de Nicolas Sarkozy, qui ont continué de plus belle après le 1er tour de l’élection fin avril. Une tentative, comme c’était le cas depuis déjà plusieurs mois, de «rassurer» l’électorat du Front National, parti d’extrême-droite, qui battait son record au 1er tour, le 22 avril dernier, en recueillant 17, 8% des suffrages.
Une stratégie qui s’était renforcée entre les deux tours de l’élection pour s’assurer du report des voix en se positionnant, très clairement, comme le garant des thématiques chères au FN: les frontières, l’immigration et l’islam. En vain, puisque Marine Le Pen, chef de l’extrême-droite, n’appellera jamais à voter Nicolas Sarkozy en finale.
Adem, 31 ans, fonctionnaire d’origine algérienne, regrettait, ainsi en début d’après-midi la tournure prise par la campagne, que «la parole raciste ne choque plus en France». Lui a voté blanc, «par acquit de conscience», bien que «gauchiste» de tradition.
Il aurait aimé un positionnement clair de François Hollande, pour rassurer «une communauté musulmane qui a peur pour son avenir». Alors, même s’il est d’accord dans le fond, il n’a pas apprécié la fermeté du candidat socialiste sur l’interdiction du voile intégral et de la viande halal: «Dans le ton, je trouvais que Hollande se justifiait auprès des électeurs du Front National et qu’il confortait cette idée que l’islam est une religion dangereuse, conquérante. J’attends d’un candidat qu’il soit clair: être musulman n’est pas incompatible avec le fait d’être français et nous ne cherchons pas à refaire les croisades. C’est un fantasme.»
Tandis qu’il allume une cigarette, il me parle du tweet «dégueulasse» dont il ne sait plus qui est l’auteur. Elle s’appelle Malika Salim, conseillère municipale Ump [parti de droite de Nicolas Sarkozy, Ndlr] de Choisy-Le-Roi, en banlieue parisienne: «Si vous voulez que nos villes deviennent Bamako-Sur-Seine et Ghaza-Sur-Marne, votez pour Hollande».
Vers une convergence des droites?
Du lapsus – «nous, le Front National» – du ministre de la Défense, Gérard Longuet, qui renforce – involontairement – un scénario voulu par l’extrême droite, à savoir une explosion de l’Ump après la défaite aux présidentielles.
Un effondrement, qui pourrait conduire à un rapprochement entre les deux droites dans l’optique d’une reconquête du pouvoir en 2017 et qui permettrait au FN, «le troisième homme», d’aspirer à un peu plus qu’un rôle d’arbitre. Cette alliance, les cadres de l’Ump les plus à droite du parti, n’y sont pas défavorables. D’ailleurs, il y a quelques jours, le même Gérard Longuet parlait de Marine Le Pen comme d’un interlocuteur.
Le Front National ne fait pas non plus peur à Zina, 25 ans, technicienne supérieure et musulmane pratiquante. Si elle reconnaît les bizarreries du parti, elle ne comprend pas en quoi l’extrême-droite, dans son traitement de l’islam et des minorités, diffère des autres formations et assume son vote FN au 1er tour, «parce que la France a besoin d’un coup de pied aux fesses pour amorcer le changement»: «Moi, je suis fille d’immigrés, mais je dis qu’il y a trop d’immigrés. On les accueille pour les exploiter et les traiter comme des animaux. […] La gauche a été au pouvoir, gère des grandes villes: qu’a-t-elle fait pour l’islam? La droite de Sarkozy, la soi-disant fréquentable, qu’a-t-elle fait pour l’islam.»
Né en France de parents tunisiens, Zina s’épanche longuement sur la politique extérieure de la France. L’Europe, mais surtout la guerre contre le terrorisme et le conflit israélo-arabe: «Il n’y a aucune cohérence. L’Ump et le PS [Parti Socialiste de François Hollande, Ndlr] militent tous les deux pour envoyer des troupes en Afghanistan. Ils sont allés en Libye, veulent aller en Syrie. Non seulement cela ne nous concerne pas, mais ces formations politiques tuent des musulmans. Le FN est beaucoup plus pragmatique et beaucoup moins pro-Israël.»
Ce dimanche, elle a voté blanc. Sans hésitation: «Sarkozy a eu cinq ans pour agir, il n’a rien fait. Le PS? C’est hors de question. C’est l’un des partis, sinon le parti, le plus hypocrite». Elle reste silencieuse quelques secondes, puis reprend: «J’ai longtemps vécu dans une ville [Trappes, en banlieue parisienne, Ndlr] gérée par la gauche. Elle n’hésite pas à manipuler les musulmans à des fins électorales. Les socialistes encore au temps des colonies. Je ne supporte pas ce genre de discours. C’est humiliant. Je préfère encore quelqu’un qui ne m’aime pas.»