Le conflit était jusque là feutrée, ponctué de lourdes allusions et de petites phrases. Il est désormais ouvert: la police et l’armée tunisiennes se rejettent la responsabilité de l’effusion du sang pendant de la révolution.
Par Imed Bahri
Dernier épisode de cet interminable feuilleton – aussi minable que miné –: les syndicats des forces de l’ordre ont dénoncé, jeudi 9 mai, les condamnations et poursuites d’agents de sécurité par la justice militaire. Ils accusent celle-ci de mettre en place des procès «politiques et populistes» ciblant des «boucs-émissaires» parmi la police.
Ridha Grira, l'ex-ministre de la Défense n'est pas au dessus de tout soupçon.
Ridha Grira mis à l’index par la police
L’Union nationale des syndicats des forces de sûreté tunisienne (Unsfst) a également accusé un l’ex-ministre de la Défense, Ridha Grira, le dernier en poste avant la chute de Ben Ali, d’être «responsable» de la mort des Tunisiens lors de la révolution tunisienne. Voilà qui porte un coup au récit selon lequel ce dernier aurait contribué, en tandem avec le général Rachid Ammar, alors chef d’Etat major de l’armée de terre, à rendre inéluctable la fuite de Ben Ali.
Tout en dénonçant l’attitude des militaires durant la révolution, l’Unsfst s’insurge particulièrement contre Ridha Grira, qui aurait diffusé de fausses informations, via les médias, «pour créer le chaos et empêcher la passation du pouvoir dans l’espoir de faire revenir Ben Ali».
Selon le syndicat des forces de l’ordre, ces «fausses informations» portaient sur des affrontements entre l’armée et la police et sur des tireurs d’élite issus de la garde présidentielle et de milices privées amenées au pays par le clan des Trabelsi. Le syndicat accuse donc ainsi l’ancien ministre de la Défense d’être «responsable», ne fut-ce qu’indirectement, de la mort des Tunisiens tombés lors des événements de la révolution.
L'armée tunisienne fleurie par les citoyens.
Visiblement, les policiers ne veulent pas être les seuls à porter la lourde responsabilité d’avoir soutenu le dictateur jusqu’au bout, en tirant notamment sur les manifestants, faisant de nombreux morts entre le 17 décembre 2010 et le 21 janvier 2011. Ils soutiennent, aujourd’hui, que les militaires, présentés jusque là comme des patriotes ayant pris le parti du peuple contre son opresseur, ont autant de responsabilité qu’eux dans le bain de sang.
Lors de la conférence de presse du 9 mai, les policiers membres de l’Unsfst affirment être les «boucs émissaires» de la justice militaire pour les tueries de la révolution.
Les policiers ne veulent pas porter seuls le chapeau
Pour le secrétaire général de l’Unsfst, Montassar El-Matri, les policiers sont «déterminés à défendre les agents condamnés, sans preuve, par la justice militaire, dans des procès politiques et populistes», ajoutant: «Nous ne permettrons pas qu’on en fasse des boucs-émissaires à des fin politiques» et dénonçant des «irrégularité» et des «condamnations sans preuves, sans analyse balistique».
Pour l'ensemble de son oeuvre, la police a mauvaise presse en Tunisie.
En avril dernier, deux agents des forces de l’ordre ont été condamnés à 20 ans de prison chacun, pour la mort, par balle, de Slim Hadhdri, un jeune civil, à Kerkennah, île au large de Sfax (littoral sud-est). «Comment deux hommes peuvent-ils être condamnés pour une seule balle et un seul tué?», s’est demandé M. El-Matri.
Selon un premier bilan officieux provisoire, publié le 4 mai par la Commission nationale d’investigation sur les dépassements et les violences (Cnidv), présidée par l’avocat Taoufik Bouderbala, le soulèvement populaire a provoqué la mort de quelque 338 Tunisiens et 2.085 blessés. Selon ce même bilan, 66% des personnes ont été tuées par balles et les forces de sécurité sont responsables de 79% des cas de décès.
Selon l’un des membres de cette commission, la garde présidentielle n’a utilisé aucune cartouche pendant la révolution. Les snipers appartiennent donc à d’autres corps de sécurité. Sans désigner clairement la partie qui a tiré les cartouches mortelles, ce dernier ajoute: «Sur le toit du ministère de l’Intérieur, il y a eu des unités spéciales. Ainsi que sur le toit du bâtiment du Rcd occupé par des militaires. Et il y a eu des victimes parmi les manifestants». Traduire : les unités de l’armée, autant que celles de la police auraient pu tirer sur les manifestants.
Police tunisienne, une réputation de violence difficile à changer.
Cela ne règle pas le problème, mais le complique. Car, en l’absence d’une véritable investigation, réalisée par une instance indépendante, les protagonistes pourraient continuer à se jeter la balle indéfiniment, sans que la vérité n’éclate un jour, et que les véritables coupables soient identifiés, nommément, et jugés.
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