Moncef Marzouki n’était pas peu fier d’annoncer, dans son entretien à l’hebdomadaire ‘‘Le Point’’ qu’il a été le lauréat, en tandem avec Rached Ghannouchi, du prix 2012 du think tank britannique Chatham House.
«Avec le parti islamiste Ennahdha (…) nous essayons de créer une nouvelle culture, celle du pluralisme. Nous sommes sur la bonne voie, si j’en crois le prix que l’institut londonien Chatham House vient de remettre à Rached Ghannouchi et à moi-même. Nous succédons à Aung San Suu Kyi», a dit M. Marzouki.
Le cercle de réflexion londonien décerne, chaque année, une récompense, au nom de la reine d’Angleterre, à une personnalité qui a œuvré à l’amélioration des relations internationales.
Cette année Chatham House, connu officiellement sous le nom de l’Institut Royal des Affaires Internationales, a sélectionné le fondateur et président du parti islamiste Ennahdha et le président de la république provisoire pour son prix 2012 «pour les compromis qu'ils ont obtenus au cours de la transition démocratique en Tunisie. Représentant les deux faces d'une même médaille, ils ont ensemble assuré que la Tunisie demeure à la fine pointe de la nouvelle vague démocratique au Moyen-Orient et Afrique du Nord», explique l'organisation britannique.
M. Ghannouchi a également été consacré comme l’un des «100 penseurs les plus influents de l'année 2011» par la revue américaine ‘‘Foreign Policy’’, fondée par Samuel Huntington, le théoricien du choc des civilisations.
Evoquant ses relations privilégiées avec Ghannouchi et les islamistes d’Ennahdha, le président Marzouki affirme, dans son entretien avec ‘‘Le Point’’, qu’Ennahdha est un mouvement démocratique et qu’il a contribué à le démocratiser. «Je suis un homme de gauche, laïque et démocrate, j’ai toujours été fidèle à ces valeurs, je suis même allé en prison pour les défendre. Quand j’entends certaines personnes de la gauche française me considérer littéralement comme un traître, qui a vendu son âme au diable, parce que je travaille avec les islamistes, je me dis que, décidément, elles ne comprennent rien à rien», dit Marzouki. Il ajoute: «Nous avons démocratisé le mouvement islamiste, nous l’avons amené à respecter les droits de l’homme et ceux de la femme. Il faut comprendre que nous sommes dans une société plurielle qui ne supporte plus d’être gouvernée par un parti unique».
Pour justifier le prix britannique, Moncef Marzouki va plus loin dans l'analyse de ses liens historiques entre lui, l'intellectuel laïc, et le parti islamiste Ennahdha: «Ce prix nous a été décerné parce qu’il a été reconnu que deux hommes, malgré leurs différences idéologiques, ont pu trouver une entente politique et éviter au pays une guerre idéologique. Au lieu d’entrer dans un affrontement entre laïques et islamistes, Ghannouchi et moi avons choisi de travailler ensemble sur des bases claires, sans dépasser certaines lignes jaunes et dans le but d’affronter notre ennemi commun, la pauvreté. Notre débat aura duré presque vingt ans pour réussir à élaborer cette idée commune. On a dit aux islamistes: ‘‘Vous voulez une identité arabo-musulmane? Très bien, pourvu que ce ne soit pas une identité d’enfermement.’’ Nos lignes jaunes sont les droits de l’homme, ceux de la femme et les libertés publiques. Ils ont accepté. Alors, nous avons élaboré un consensus.»
I. B.