Les membres de l’Isie ont eu droit à des félicitations appuyées, avant d’être… reconduits à la porte. L’Isie 2, dont le gouvernement concocte la composition en toute discrétion, sera au centre des prochaines batailles politiques.

Par Abdelmajid Haouachi


Vendredi dernier a eu lieu, au Palais des Congrès à Tunis, la cérémonie de clôture des activités de l’Instance supérieure indépendante des élections (Isie). A cette occasion, il y a eu d’une part les discours officiels des trois représentants des autorités provisoires: le président de la république Moncef Marzouki, le président de l’Assemblée nationale constituante Mustapha Ben Jaâfar et le chef du gouvernement Hamadi Jebali.

Entre dits et non-dits

D’autre part, beaucoup de non dit sur la tribune officielle au sujet du devenir de l’Isie était au centre des entretiens, discussions et chuchotements entre les présents à cette cérémonie. Dans le contexte politique actuel de la Tunisie, et à moins d’une année des prochaines élections, annoncées entre mars et juin 2013, le devenir de l’Isie est, on l’imagine, un enjeu de taille.

Le tout Tunis politique était là. Des diverses composantes de la scène politique, personne, ou presque, parmi les représentants des partis politiques, toutes tendances confondues, n’a manqué ce rendez-vous. Ceci sans oublier les représentants des organisations de la société civile, des membres de l’Assemblée nationale constituante (Anc) et des personnalités indépendantes… Une telle ruée ne serait probablement pas produite si les gens savaient qu’ils allaient assister à une cérémonie protocolaire. Et ce ne sont certainement pas les discours des trois représentants de la «troïka» (la coalition tripartite au pouvoir) qui ont drainé cette foule, ni le buffet, du reste, bien fourni en sucrés, salés et boissons, auquel les présents, estimés à quelques centaines, ont été conviés. «De quoi soigner tous les blessés de la révolution», a chuchoté un militant associatif ironisant sur le coût de ce buffet.

Les trois discours officiels étaient monocordes. Ils ont fait l’apologie de l’Isie considérant qu’il y a là un acquis historique irréversible. Le président provisoire de la République a souligné qu’à l’avenir, il n’est plus question d’impliquer le gouvernement dans les élections. Kamel Jendoubi, président sortant de l’Isie,  fortement applaudi par une grande partie de l’assistance, a souligné, de son côté, la nécessité de doter l’Isie de structures administratives permanentes afin de rationnaliser son action.

Le susccès des élections du 23 octobre 2011 sera-t-il suivi d'autres?

De quoi sera fait l’après-Jendoubi

L’ovation de Kamel Jendoubi d’une part et une forte allusion dans le discours du président de l’Anc ont constitué le fil reliant le dit et le non-dit. D’ailleurs, l’ovation de M. Jendoubi a été suivie, pour une courte durée, par des slogans appelant à l’indépendance de l’Isie.

L’allusion de Ben Jaâfar se rapporte, quant à elle, à la question des quotas de représentation des partis au sein de la prochaine Isie au prorata de leur représentativité à l’Assemblée constituante, système qui permettra à Ennahdha de politiser et, surtout, de dominer cette instance. Ce qui fait déjà grincer des dents. Et pas seulement parmi l’opposition.

«Aucun quota entre les partis politiques ne sera adopté dans la composition de la prochaine Isie», a martelé Ben Jaâfar. Ses propos laissent entendre qu’il y aurait des tractations entre Ennahdha et les autres composantes de la scène politique pour la composition de la prochaine instance. Et les alliés du parti islamiste, à savoir le Congrès pour la République (Cpr ou Al-Moatamar) et le Forum démocratique pour le travail et les libertés (Fdtl ou Ettakatol) n’entendent pas, visiblement, s’en laisser conter.

On imagine aussi que, dans l’opposition, les armes aussi se fourbissent: la formule préconisée par Ennahdha ne devrait pas passer, au risque de faire capoter la transition démocratique dans le pays et de mettre ainsi les premiers jalons d’une nouvelle dictature.

Ceci étant, des questions demeurent en suspens sur la composition future de l’Isie. Quelle y sera la part des partis politiques, représentés ou pas à l’Anc? Y aura-t-il une hégémonie d’Ennahdha dans sa composition? Les partis minoritaires représentés à l’Anc y seront-ils exclus? En sera-t-il de même pour les indépendants?

Kamel Jendoubi et son équipe ont fait un excellent travail. Ennahdha s'est empressé de les remercier.

Ce qui est à craindre

Naturellement, il n’existe qu’une seule règle pour élucider toutes ces questions : le consensus. Le risque est de voir la classe politique plonger dans une nouvelle phase de lutte intestine au sujet de la composition de la prochaine Isie. Mais le risque majeur est de sombrer dans ces litiges et d’oublier de parfaire le mode de fonctionnement de cette instance sur le terrain électoral, en partant de l’expérience acquise par l’équipe présidée par M. Jendoubi et des carences et difficultés qu’elle a elle-même relevés dans son rapport. Car, dans la foulée des éloges de l’œuvre de l’Isie lors du dernier scrutin du 23 octobre 2011, beaucoup ont oublié les insuffisances manifestes de cette instance sur des questions décisives telles que le poids de l’argent, l’utilisation des médias et, surtout, l’instrumentalisation de la religion et des mosquées dans les campagnes électorales, notamment par le parti islamiste tunisien.