abdelwahab abdallah
Le système de Ben Ali a été soutenu jusqu’au bout par les médias nationaux et les partenaires étrangers de la Tunisie. Cela s’explique, en partie, par le réseau de propagande mis en place, à l’intérieur et à l’extérieur, par l’Atce.
Zohra Abid


L’Agence tunisienne de communication extérieure (Atce) a été créée en 1993 par Slaheddine Maaoui, conseiller de Ben Ali, devenu en 1996 ministre du Tourisme et de l'Artisanat puis ambassadeur en Arabie Saoudite. Passée rapidement sous la tutelle directe d’Abdelwaheb Abdallah, l’ex-conseiller politique de Ben Ali, l’agence a contribué au verrouillage total de l’information et au blocage de toute émergence d’une société civile. Devenue une officine au service de la police politique, elle terrorisait les rares journalistes patriote et indépendants et gratifiait grassement les mercenaires qui se reconnaîtront.

Monsieur ‘‘AA’’ tient le robinet
Créée pour soigner l’image extérieure du pays (pas du régime et encore moins de celui qui l’incarne, le dictateur Ben Ali), l’Atce n’a pas tardé à mettre la main sur le robinet de la publicité des entreprises publiques et semi-publiques. Ce robinet, elle l’actionnait au prorata de l’allégeance des médias à Ben Ali et à son système. Ce qui lui a permis de mettre au pas les médias qui aspireraient à la  liberté d’expression et à satelliser tous les autres, journaux, radios et chaînes de télévision, devenus financièrement dépendants des largesses (ou des privations) ordonnées par AA, ou Stayech (petit-sac), surnoms donnés par les Tunisiens à Abdelwaheb Abdallah.
Le système, qui a fini par être accepté par tous les opérateurs du secteur, est d’une redoutable efficacité. Ainsi, dès qu’un média tunisien s’exprime d’une façon qui ne plait pas au régime, le service des commandes publicitaires de l’Atce est immédiatement averti et il ne tarde pas à retirer à ce média toutes les publicités étatiques qui lui sont dévolues. Il ne reste alors qu’un seul choix au responsable du média en question: se limiter aux insertions du secteur privé. Mais celles-ci ne tardent pas, elles aussi, à se réduire comme peau de chagrin, les annonceurs privés ne voulant pas avoir des histoires avec les autorités en mettant leurs annonces dans un média «mal vu». AA et ses sbires vont, en effet, jusqu’à influencer les choix publicitaires des entreprises privées en appelant les responsables pour leur conseiller de retirer leur budget au média jugé réfractaires au système en place ou qui montre des velléités d’indépendance.

Des complicités extérieures grassement payées
Conséquence: tous les médias locaux, à la notable exception de quelques journaux de l’opposition (‘‘Al-Mawqif’’, ‘‘Mouwatinoun’’ et ‘‘Attariq Al-Jadid’’), ont fini par émarger sur l’Atce.
Des médias étrangers étaient aussi «achetés» et ont longtemps servi de relais extérieurs à la propagande sonnante et trébuchante du régime. On pourrait en citer les plus en vue: ‘‘Jeune Afrique’’, ‘‘Afrique Magazine’’, ‘‘Afrique-Asie’’, ‘‘Arabies’’, ‘‘Le Figaro’’, ‘‘Les Cahiers de l’Orient’’, ‘‘Assayad’’, ‘‘Addoustour’’…
L’Atce payait aussi des agences de communication, des journalistes mercenaires et des personnalités politiques étrangères pour relayer la propagande «benalienne» dans leurs pays.
La liste des bénéficiaires des générosités de l’Atce est longue. La commission d’enquête sur la corruption, mise en place par le gouvernement transitoire, ne manquera pas de l’établir afin que les Tunisiens puissent enfin découvrir les complicités intérieures et extérieures dont a bénéficié Ben Ali pour faire perdurer le système qui les a oppressés 23 ans durant.
Grâce aux fonds – demeurés secrets – dont elle disposait, l’Atce comptait, partout dans le monde, des protégés, des obligés et des agents qui, à la première alerte politique, écrivaient des articles et produisaient des reportages soulignant l’excellente gouvernance de la Tunisie. Les médias nationaux étaient sommés ensuite de reproduire l’essentiel de ces articles et reportages, et ce, pour mieux tromper les Tunisiens en voulant leur faire croire que les médias internationaux parlent de la «réussite de la Tunisie de Ben Ali» alors qu’il ne s’agit que de journalistes grassement payés et de journaux clientélisés de seconde voire de troisième zone.

L’Occident et l’épouvantail islamiste
La communication politique de M. Abdallah s’évertuait également, envers l’opinion publique étrangère, à présenter Ben Ali comme un bouclier contre l’islamisme radical. A chaque crise, ses journalistes-agents véreux, dont les noms sont connus de tous les Tunisiens, se mettaient à crier au loup: «Les islamistes veulent prendre le pouvoir»!
Or la population tunisienne dans son écrasante majorité a toujours renié l’islamisme radical. Seul le comportement indigne et irresponsable des proches du régime pousse les Tunisiens vers l’extrémisme. C’est à se demander, d’ailleurs, si le système mis en place par Ben Ali ne fabriquait pas, par ses excès répressifs même, et de manière volontaire, des extrémistes qui justifiaient, a posteriori, ces mêmes excès, exercés à l’encontre de tous les Tunisiens: libéraux, démocrates, laïques et anti-islamistes compris.   
Plus récemment, face à la révolution pacifique des Tunisiens déclenchée à Sidi Bouzid et qui a essaimé dans tout le pays, les conseillers politiques de Ben Ali ont cru pouvoir recourir aux mêmes recettes éculées en évoquant la nécessité d’une grande manipulation destinée à détourner la population de ses revendications légitimes et à présenter sa révolution à l’opinion mondiale sous les traits d’une opération terroriste destinée à déstabiliser le pays.

Quand la dictature complote contre le peuple
La veille de la fuite de Ben Ali, et au cours d’une réunion de crise dans le palais de l’ex-président à Hammamet, ‘‘AA’’, encore lui, a émis l’idée d’attribuer le geste de désespérance de Mohamed Bouazizi, qui s’est immolé par le feu à Sidi Bouzid, à l’organisation Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), proposition écartée d’un revers de la main par Ben Ali, estimant que cela aurait des conséquences dramatiques sur le tourisme.
Le pouvoir aurait même envisagé de commanditer une action terroriste «islamiste» de grande envergure dans le but pour salir cette révolution non violente et légitime des Tunisiens et obtenir le soutien des puissances occidentales. Celles-ci étant, comme on sait, très sensibles à l’épouvantail de l’islamisme radical.
Les criminels qui entouraient l’ex-président ont mis en route le scénario d’un complot contre la sécurité du peuple tunisien, avec l’ouverture des portes des prisons et la libération massive des prisonniers, le recours à des tireurs d’élites postés (dont une vingtaine d’étrangers) sur les toits pour terroriser les manifestants, le pillage des centres commerciaux, etc. Mais ce complot, qui visait à accélérer le retour du dictateur, a achoppé à la détermination des Tunisiens à en finir avec la dictature.