Avant que les démocrates ne reviennent à la rue pour un nouveau rassemblement le lundi 9 avril, les fondamentalistes religieux ont déjà annoncé «une invasion de Tunis», pour vendredi 23 mars. Doit-on en rire ou en pleurer ?
Par Zohra Abid
La journée du 23 mars, baptisée, il y a quelques jours, par le ministère des Affaires religieuses, Journée nationale du Saint Coran, sera marquée, selon les messages échangés sur les réseaux sociaux, par une marche des fondamentalistes religieux, conduits notamment par «des cheikh, des salafistes, des ulémas de la Zitouna, des prédicateurs… et certains leaders d’Ennahdha» (parti au pouvoir) qui viendront de toutes les régions du pays, annonce-t-on.
«Nous sommes 99,99% de la population. Rendez-vous à Tunis. Le peuple doit réussir son invasion pour appeler à l’adoption de la chariâ» (comme unique source de la nouvelle constitution, Ndlr), lit-on dans l’appel à manifester qui circule sur facebook.
Le 20 mars comme le 14 janvier, les barbelés en moins.
La «chariâ-parade» à Tunis
A part le rassemblement à Tunis, que l’on annonce massif, le programme prévoit, comme autre appui à la cause, des «appels via les hauts parleurs des mosquées en faveur de l’adoption de la chariâ».
On peut déjà imaginer la «chariâ-parade» avec un mélange de bannières noires (emblème des salafistes), blanches et bleues (d’Ennahdha) et rouges et blanches (du drapeaux national), des barbes hirsutes, des qamis et des niqabs. Et puis, des «takbirs» (Allah Akbar, Dieu est grand) bien sonnants…
Question pour un champion : Habib Ellouze, Sadok Chourou, et les autres dirigeants d’Ennahdha actifs sur le front de la chariâ à la constitution, seront-ils au premier rang des manifestants ? Les paris sont ouverts…
«La démocratie doit passer»
Le même jour, l’autre camp – puisque le pays est désormais divisé en deux –, celui des démocrates, des progressistes, des syndicalistes, des intellectuels libéraux et de gauche, des représentants des associations et de la société civile, ne chômera pas pour autant.
Les démocrates paradent le 20 mars à Tunis.
Tout ce beau monde, qui n’entend pas abdiquer face à la poussée de l’islam politique dans le pays, prévoit de sortir, lui aussi, le lundi 9 avril, fête nationale des martyrs, pour faire entendre sa voix dans plusieurs villes du pays. Avec des appels pour la liberté, la dignité, la démocratie, l’emploi, et contre la cherté de la vie, tant qu’il est encore permis de le faire.
Les perdants des élections du 23 octobre, baptisés «les 0,000», munis de banderoles, de drapeaux et de hauts parleurs, vont appeler, de nouveau, à faire face à toute forme de dictature, surtout au nom de la religion, à instaurer la démocratie, à réduire les inégalités entre les régions, à offrir du travail aux chômeurs, à aider les pauvres et à mettre de l’ordre dans l’économie…
Les précédents épisodes de la guéguerre
- Vendredi 16 mars, quelques 2.000 à 3.000 islamistes ont manifesté devant l’Assemblée constituante, au Bardo, à l’ouest de Tunis, pour faire pression sur les élus afin qu’ils adoptent la chariâ comme source unique de la constitution.
Oui à la chariâ dans la Constitution, crient les fondamentalistes.
La manifestation a été organisée par 112 associations islamistes, pour la plupart des satellites d’Ennahdha, nées au lendemain de la révolution. Les organisateurs espéraient rassembler 1 million de protestataires. Ils étaient très loin du compte.
- Samedi 17 mars, des milliers de démocrates ont appelé, à leur tour, à une marche pour la démocratie, le 20 mars, jour de la célébration de la fête de l’Indépendance, à l’avenue Habib Bourguiba, au centre-ville de Tunis. Pour dire non à la chariâ, pour le respect des martyrs et des blessés de la révolution, pour la dignité retrouvée des Tunisiens, pour l’emploi, pour l’égalité des chances…
- Lundi 19 mars, le ministère des Affaires religieuses a annoncé, dans un communiqué, sa décision de faire du 23 mars de chaque année la Journée nationale du Saint Coran. Depuis, des messages circulent sur les réseaux sociaux appelant à un rassemblement à la Kasbah. Des appels seront lancés, le même jour, par les hauts parleurs des mosquées pour exiger l’adoption de la chariâ.
- Mardi 20 mars, la marche des démocrates et progressistes a ressemblé plus de 10.000 personnes. Certaines estimations ont parlé de 20.000. On a même osé une comparaison avec la manifestation du 14 janvier 2011 qui a fait fuir le dictateur Ben Ali.
Avec des partis complètement dépassés par les événements et des dirigeants politiques sans consistance aucune et ne sachant à quels saints se vouer, les Tunisiens semblent avoir choisi de régler leurs divergences sur la place publique. Et/ou par médias interposés. Le spectacle de leurs interminables parades a quelque chose d’infantile, de futile et d’inquiétant, car il ne rehausse pas le débat national en cette phase transitoire difficile, bloquée par une polarisation idéologique excessive, alors que les urgences économiques et sociales s’additionnent, s’accumulent et se conjuguent dans une sorte de course aveugle vers le désordre et l’anarchie.
N’y a-t-il pas d’hommes sages dans ce pays pour remettre toutes ces troupes en ordre de marche ?