«Puisqu’on doit mourir un jour ou l’autre, autant mourir à Damas», s’est dit l’auteure, qui a passé quelques jours dans la capitale syrienne, à l’invitation du pouvoir en place… Une autre vision de l’apocalypse.
Par Oumeima Selma Krichen
Puisqu’on doit mourir un jour ou l’autre, autant mourir à Damas. C’est ce que j’ai pensé quand on m’a proposé de faire partie d’une délégation de journalistes et d’activistes tunisiens invités par le gouvernement syrien à l’occasion des élections législatives qui devaient avoir lieu le 7 mai dernier. Car, depuis quinze mois, quand on est Syrien, on quitte les siens le matin sans être sûr de les revoir.
A Damas, les inscriptions telles que «Al Jazira», «Al Saoud» et «Dar Al Arôour» ornent les poubelles publiques.
L’arrivée à Damas
A peine arrivée à Damas, on me souhaite la bienvenue dans MON pays, la Syrie! Ce n’est que plus tard que j’ai compris que ce n’était pas que de simples mots.
Je mentirais en disant que je m’attendais à quelque chose de complètement différent de ce que j’ai finalement vu et vécu à Damas. Pour avoir cherché des informations dans la presse alternative, je connaissais l’ampleur de la désinformation qui régnait autour de la Syrie et savais qu’il y avait des groupes financés et armés par des parties tierces qui sévissaient dans plusieurs villes, y semant la terreur et la mort. Ce à quoi je ne m’attendais pas, par contre, fut l’accueil chaleureux que tous les Syriens, qu’il nous a été donné de croiser, nous ont réservé.
Tous les membres de la délégation ont été surpris de constater l’absence de check-point sur l’autoroute menant de l’aéroport au centre ville. On nous a expliqué plus tard que l’état d’urgence n’avait pas été décrété à Damas. Rappelons qu’il est toujours en vigueur en Tunisie et ce, depuis la «fuite» de Ben Ali.
Damas est une ville où le climat est particulièrement agréable. C’est une mégapole aux avenues larges, aux places gigantesques et aux innombrables parcs et jardins. Mais Damas c’est aussi la plus ancienne ville continuellement habitée, c’est cet endroit du monde qui a vu la naissance des civilisations il y a quelques 10.000 ans. En somme, ce voyage a aussi été, pour nous tous, un retour aux sources.
A Damas, on entend des enfants de cinq ans parler de « résistance » (as’soumoud).
La vieille ville arabe, qui se situe sur la rive sud du fleuve Barada, est classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Elle regorge de monuments historiques, dont l’incomparable Grande mosquée des Omeyades.
Un peuple fier et généreux
Damas ce n’est pas qu’une histoire et une architecture exceptionnelles, c’est aussi une ville où il fait bon vivre. En effet, malgré la situation particulière en raison des attaques menées contre la Syrie, nous sommes frappés par la courtoisie, le calme et la discipline qui caractérisent le comportement des gens.
Les Syriens sont naturellement accueillants et il n’est pas rare d’être invité ou de se voir offrir un thé par des commerçants ou des passants.
Tout au long de notre séjour, nous avons eu l’occasion de parler avec des commerçants, des chauffeurs de taxi… et nous avons été étonnés par leur clairvoyance politique. En effet, ils ne sont pas dupes de la propagande occidentale.
Malgré les difficultés engendrées par les différentes mesures économiques punitives imposées à la Syrie par l’Occident, le drapeau palestinien continue de flotter un peu partout comme pour affirmer que la Syrie ne compte pas changer sa ligne politique et que la Palestine reste une priorité.
Les gens continuent à travailler et les commerces à ouvrir jusqu’à tard le soir.
Les gens continuent à travailler et les commerces à ouvrir jusqu’à tard le soir.
Des élections sous les bombes
Le lundi 7 mai dernier, les Syriens ont voté pour élire leurs représentants au Parlement.
Les élections ont été supervisées par un comité de juristes indépendants et couvertes par plus de 200 médias arabes et étrangers, outre plus de 100 intellectuels et législateurs venus de pays étrangers.
Nous sommes le 10 mai et il est 7h45 du matin. Des terroristes font exploser deux voitures sur la voie rapide du sud, dans le secteur de Qazzaz. Les deux explosions frappent une zone peuplée et surviennent à une heure où les gens se rendent à leur travail et les élèves à l'école. Cette opération terroriste fait 55 morts et 372 blessés. Nous sommes à l’hôtel et tout le monde regarde les infos à la télé. Les images défilent en boucle montrant des corps carbonisés à bord de dizaines de carcasses de véhicules encore fumantes.
Des attentats terroristes il y en avait déjà eu à Damas, mais nous étions loin et les Damascènes avec leur discrétion nous les avaient presque fait oublier. Maintenant nous étions parmi eux et nous ressentions leur douleur et leur colère. A partir de ce jour, nous fûmes incapables de nous promener dans les rues avec insouciance. Cinq jeunes étudiants qui habitaient le quartier où nous résidions avaient péri durant le double attentat, alors qu’ils se rendaient à la faculté.
Un autre bienheureux.
Un peu de mon sang…
Après l’attentat, je décidai de faire don d’un peu de mon sang. Je savais que des Tunisiens étaient responsables de la mort de Syriens et que le gouvernement tunisien continuait à soutenir le camp des ennemis de la Syrie. Et donc mon sentiment de culpabilité envers la Syrie et les Syriens n’était pas étranger à cette décision. Quelle ne fut ma surprise quand j’appris que le don de sang était obligatoire en Syrie (ailleurs les gens vendent leur sang ou l’offrent en échange d’un repas). Le centre de transfusion sanguine dans le quartier de Mezzah était donc plein de jeunes étudiants et je me sentis un peu inutile, malgré l’accueil chaleureux auquel j’eus droit, encore une fois, en révélant ma nationalité.
La veille de notre départ, deux jeunes conduisant une moto tirent deux balles sur l’imam chiite de la mosquée de Sayda Roqaya, le cheikh Abbas al-Laham et le tuent.
Les bureaux de vote sont restés ouverts de 7h à 22h.
Nous quittons la Syrie
Le lendemain, je quitte la Syrie avec le sentiment d’avoir reçu de la part des Syriens un cadeau inestimable: la certitude que eux et nous sommes des frères et que rien ni personne ne pourra jamais changer cela. Pas même les intégristes de tous bords; pas même le pire ennemi de tous les peuples et en particulier du nôtre, l’empire états-unien; pas même les «révolutionnaires» de l’Otan; pas même l'entité sioniste, bourreau de notre peuple en Palestine.
Je quitte la Syrie avec la certitude d’avoir fait le bon choix: le camp de mon peuple, où qu’il se trouve, et non celui de ses adversaires.
Le cortège funèbre du cheikh Abbas al-Laham.
Je quitte la Syrie plus déterminée que jamais à me battre de toutes mes forces et à utiliser toutes mes ressources, aussi modestes soient-elles, pour faire entendre la voix de tous ses enfants.
Je suis tenaillée par la peur et l’inquiétude, mais je sais que le peuple syrien est fort. Il résistera comme à son habitude. Ce peuple qui a donné sans compter quand nous Irakiens, Libanais, Palestiniens et autres Arabes, avons eu besoin de lui, ne sera jamais seul. Nos sorts sont liés.
Note de la rédaction :
Nous avons hésité avant de nous décider à publier ce témoignage, celui d’une auteure «embarquée», comme on dit dans notre jargon journalistique, puisqu’invitée par le gouvernement de Bachar El Assad à l’occasion des élections législatives du 7 mai dernier. Le programme était, à l’évidence, préétabli et le parcours balisé, comme cela se faisait, sous Ben Ali, lorsque l’Atce invitait des journalistes et des personnalités étrangères pour témoigner du climat de liberté et de démocratie dans lequel les élections tunisiennes se déroulaient. La situation en Syrie est beaucoup plus complexe que ce qui est décrit dans cet article, écrit pour faire plaisir aux hôtes. Si nous avons finalement décidé de publier cet article, c’est dans un souci d’impartialité. Nous ne souscrivons pas aux partis-pris de l’auteure, visiblement intoxiquée par la propagande d’El Assad, mais nous estimons que ce point de vue doit aussi être entendu, ne fut-ce que pour mieux être réfuté.
Droit de réponse de l’auteure:
Il est vrai que ma première réponse était trop longue. Mea culpa, j’avoue manquer d'expérience en matière de raccourcis indélicats et d’amalgames cyniques!
Avoir accepté de faire partie d'une délégation de journalistes et d'activistes des droits de l'homme, invités par le gouvernement d'un pays arabe, est manifestement une aberration pour la rédaction de Kapitalis, qui, elle, préfère avoir affaire aux puissances responsables des attaques contre le peuple syrien !
Décidément, la déontologie journalistique en prend pour son grade chez Kapitalis: désinformation, calomnies et injures sont ce qui tient lieu d' «impartialité» devant les «partis pris» de tous ceux dont ils ne partagent pas les opinions!
Les médias de la honte, vous ne l’aurez décidément pas volée cette étiquette !
Réponse de Kapitalis:
Mme Oumaima voudrait que l’on endosse son apologie du régime syrien. Nous avons juste précisé aux lecteurs que nous ne partageons pas ses appréciations de la situation syrienne. Ce qui est notre droit. Nous avons tout de même publié la tribune libre de l’auteure, estimant que son point de vue, bien que très discutable, mérite d’être connue des lecteurs. Notre distance ne lui a pas plus. Et, de surcroit, elle nous fait dire des choses et nous insulte. Les lecteurs apprécieront…