Nos élus ont-ils la stature et la probité d’hommes et de femmes d’Etat aptes à rentrer dans les annales des grandes figures qui ont marqué l’histoire de ce pays? On peut avoir de sérieux doute à ce propos.
Par Samir Tlili
Sommes-nous en train de regretter d’avoir eu le sit-in de Kasbah 2 qui a forcé la décision d’imposer le recours à l’élection de l’Assemblée nationale constituante (Anc) comme voie de transition démocratique après la révolution du14 janvier 2011? C’est de toute évidence une question qui devient persistante au vu du rendement et de l’attitude de nos chers élus de la nation!
Au départ, cette question se faisait chuchoter aux détours des discussions de salon par une certaine classe de Tunisiens qui ne s’identifiait guère dans ce nouveau visage représentatif du pays issu des élections du 23 octobre, mais qui n’osait tout de même pas crier haut et fort sa désapprobation par peur d’être prise pour de la rémanence bourgeoise attachée à ses privilèges et tentée de perpétuer le statuquo de l’ancien régime. Aujourd’hui, elle devient de plus en plus pressante et publiquement débattue à tous les coins de rue par toutes les franges de la société sans considération de classe. Et pour cause...
Apprentis politiciens investis d’une lourde mission
Une Assemblée constituée majoritairement d’apprentis politiciens que rien ne prédestinait à la politique à part une dose de hasard et une autre d’opportunisme de circonstance qui les ont parachutés têtes de liste de formations politiques sans passé ni tradition, et qui se sont trouvés, du jour au lendemain, investis de la lourde mission de rédiger la constitution d’un pays maintenu depuis son indépendance sous le joug de la dictature et de la pensée unique.
Et pourtant, nous étions bien fiers d’avoir répondu à l’appel de la nation pour nous rendre en masse aux urnes dès l’aube d’un certain 23 octobre 2011. Et alors que le reste du monde nous observait avec tant de respect et d’admiration parachever notre œuvre révolutionnaire pacifique, les plus démocrates d’entre nous ont accepté sans rechigner le verdict des urnes et ont souhaité bon courage et plein de réussite à cette première véritable assemblée représentative élue pour la première fois de notre histoire sans manœuvres frauduleuses, tout fiers que nous étions de faire enfin partie des nations civilisées.
Ces chers constituants et constituantes ont les yeux plus grands que le ventre
Une représentation théâtrale d’un très mauvais goût
Mais voilà que nos chers élus de la nation s’évertuent à tourner cette supposée belle aventure en une représentation théâtrale d’un très mauvais goût dont le lever de rideau a failli mettre le pays à feu et à sang pour avoir voulu honorer une liste de martyrs de la révolution dont ils n’ont pas même pas pris la peine de vérifier l’exhaustivité et que personne, jusqu’à présent, ne sait exactement s’il s’agissait d’une erreur de bonne foi ou dictée par je ne sais quelle machination politicienne.
Ces chers élus se sont ensuite rassemblés en groupes parlementaires alliés pour nous offrir ainsi qu’au reste du monde le désolant spectacle d’une guéguerre partisane dont l’unique et seul objectif est de s’assurer une prépondérance qui leur permettait de survivre en tant que groupuscules politiques capable de faire entendre leurs voix. On les a vus depuis envahir les plateaux radios, ou se disputer les invitations télé pour vociférer leurs théories creuses sans la moindre connexion avec la réalité du pays n’hésitant pas au passage de dénigrer tous ceux qui n’étaient pas de leur bord.
Tout cela pour débattre de quel sujet au juste? De tout ce qui ne concerne guère les préoccupations quotidiennes du Tunisien et n’avance en rien leur mission de rédiger la constitution. Ils nous ont ainsi gratifiés d’interminables discussions byzantines dénuées de tout intérêt à part le vacarme propre à l’inobservation de toutes règles de courtoisie et de bonne séance au point où tout le monde se demande aujourd’hui si cette assemblée constituante était le choix le plus approprié pour cette période de transition.
Le mal aurait pu s’arrêter là si ce n’est la dernière indécence en date de nos chers représentants, celle de se réunir en conclave secrète pour se partager le butin de la république et se servir directement dans les caisses de l’Etat pour s’octroyer un dédoublement de salaire au grand mépris de l’état général de la population.
Une insulte à l’intelligence du peuple
Bien sûr, s’agissant d’améliorer leur propre bien-être, ces chers élus étaient en parfaite communion oubliant au passage leurs âpres différents qu’ils s’évertuaient de nous jouer chaque fois que leurs débats étaient transmis à la télévision.
Ainsi, au moment ou le pays traverse une des périodes les plus difficiles de son histoire marquée par un déficit budgétaire record, où le chômage bat son plein et que le reste de la population salariée s’exténue à obtenir l’infime augmentation salariale promise depuis longtemps, dans un environnement économique international marqué par une crise sans précédent, messieurs nos élus, profitant de la position au sommet de l’Etat que leur confère leur qualité de législateurs, poussent l’indécence jusqu’à réclamer, en plus des augmentations qu’ils se sont arrogées, une «prime de la constitution», dont ils se réservent le droit d’en fixer la valeur en temps opportun, en rémunération de la mission qui constitue le cœur même du travail pour lequel ils ont été recrutés et rémunérés pendant toute leur législature, à savoir la rédaction de la constitution. C’est comme si un chirurgien qui, en plus des honoraires convenus pour son intervention, réclame, une fois l’opération accomplie, une «prime d’intervention» supplémentaire. Une insulte à l’intelligence de ce peuple.
Devant un tel comportement marqué par tant d’avidité et de convoitise de la part de gens investis de la mission de jeter la base de la Tunisie de demain, on ne peut éviter de se poser la question de savoir si le choix de la constituante était le plus judicieux pour la circonstance où si ce sont plutôt nos élus qui sont loin d’avoir la stature et la probité d’hommes et de femmes d’Etat aptes à rentrer dans les annales des grandes figures qui ont marqué l’histoire de ce pays. Il me semble pourtant que la réponse est évidente.
Articles du même auteur dans Kapitalis :
Quand l’exclusion devient principe pour la présidence en Tunisie
Qui va pouvoir rétablir la devise de la république tunisienne?
Tunisie. Pour combattre le chômage, supprimons l’impôt sur les sociétés !