Malgré les campagnes insidieuses et les rumeurs distillées pour décourager les touristes en général et les Algériens en particulier d’y passer leurs vacances, la Tunisie reste un pays de joie et de douceur de vie.
Par Djamaleddine Benchenouf*
L’année passée, j’avais rédigé un billet[1] où je me faisais un peu le Vrp du tourisme tunisien. Un bien modeste Vrp en réalité. J’avais été bouleversé par la campagne insidieuse menée par certains milieux du régime algérien, qui avaient mis le paquet pour priver la Tunisie de la précieuse affluence des touristes algériens. Un afflux d’autant plus vital que le tourisme algérien chez notre voisin était devenu, au fil des ans, une ressource financière d’une importance capitale pour son économie.
Les mêmes rumeurs produisent les mêmes effets
En usant de tous ses relais pour faire peur aux touristes algériens, et leur faire croire que l’anarchie et l’insécurité avaient fait de la Tunisie un pays infréquentable, le régime algérien ne cherchait rien d’autre qu’à provoquer une asphyxie délibérée de l’économie tunisienne. Parce que pour ces gens de l’ombre, l’urgence de l’heure consistait à étouffer le poussin de la liberté dans l’œuf de la manipulation. Le succès de la révolution tunisienne pouvait se révéler contagieux, et tout ce qui pouvait l’éradiquer, ou du moins le faire dégénérer, avait été entrepris de mille et une manières.
Tout a été donc fait pour dissuader les Algériens de se rendre en Tunisie. Des rumeurs ont commencé à se répandre, y compris par certains médias, jusqu’à provoquer une association d’idées. Jusqu’à planter dans l’entendement des gens que Tunisie était devenue synonyme d’enlèvements de jeunes femmes, et même de jeunes mariées, de faux barrages, d’agressions, de racket, de cambriolages, de vols de voitures.
Pour la majorité des Algériens, qui venaient habituellement passer leurs vacances dans ce pays, la Tunisie était devenue un coupe-gorge. Les effets d’une telle campagne ont été immédiats, massifs, dévastateurs, et vraisemblablement durables. Les Algériens ne voulaient surtout pas revivre chez leur voisin, et pendant leurs vacances, ce qu’ils avaient subi chez eux, pendant plus d’une décennie.
Ce fut une saison noire pour le tourisme tunisien. Et ce n’est pas fini, puisque les mêmes rumeurs continuent de circuler, et de produire les mêmes effets. De très nombreuses familles algériennes, qui avaient leurs habitudes chez leur voisin ont d’ores et déjà tourné les yeux vers d’autres horizons. Vers le Maroc et la Turquie principalement.
L’année passée, pour des raisons qui me sont propres, je n’ai pu partir moi-même en Tunisie. Cela m’a été reproché, à juste titre, par des compatriotes qui ne comprenaient pas que je puisse pousser des gens à se «risquer dans une si folle équipée», au moment où je restais bien tranquillement en France.
Nous avons donc décidé, ma famille et moi, de nous rendre en Tunisie. Ma fille aînée m’a tout aussitôt appelé au téléphone et à tout fait pour m’en dissuader, allant jusqu’à me rapporter les dires de familles qui se seraient rendues en Tunisie, et qui se seraient repliées en catastrophe, après avoir été victimes d’agressions de toute sorte. J’ai eu beau tenter de la convaincre que tout cela n’était que de la propagande primaire, elle n’a pas voulu en démordre. Un ami m’a tenu à peu près le même discours, en plus menaçant toutefois, puisque lui affirmait que les salafistes tunisiens agressaient les femmes qui n’étaient pas voilées, et faisaient irruption dans les bars pour tout casser. J’eus ainsi l’occasion de confirmer que le mal était beaucoup plus profond que je ne croyais.
Café Sidi Bouhdid à Hammamet.
Nous arrivâmes donc à l’aéroport de Carthage. J’avoue que j’appréhendais un peu l’accueil, puisque j’avais été refoulé du même aéroport, en 2005, sur instruction du ministre de l’Intérieur de l’époque. Il régnait dans l’ambiance des lieux comme un sentiment diffus, mais non moins perceptible, de quiétude, et de convivialité. Je n’y voyais plus ces regards inquisiteurs, ces attitudes revêches, cette soupçonnite aiguë qui distinguait les policiers, du temps du Benalisme. Lorsque le pafiste me demanda si j’étais bien journaliste je m’attendis à revivre le même cauchemar que sept années plus tôt. Passer vingt heures en zone internationale avant d’être réembarqué sur le premier vol. Le policier me remit nos passeports, avec un grand sourire, et nous passâmes le contrôle de douanes sans même ouvrir nos bagages.
Si c’était cela cette anarchie de l’après-révolution dont on nous a tellement rebattu les oreilles, alors vive l’anarchie. Je suis passé de nombreuses fois par cet aéroport, et jamais il ne m’a semblé aussi accueillant, ni aussi bien tenu.
En famille à Hammamet la douce
L’aéroport de Tunis-Carthage n’avait plus rien à envier à ceux d’Europe. Si ce n’est une certaine capacité, et un léger retard dans l’acheminement des bagages.
Mon fils qui était venu d’Algérie, et que je retrouvais après huit années de séparation, nous avait loué une petite villa à Hammamet. J’aurais voulu rester à Tunis, pour y rencontrer des gens, parler avec eux de la révolution, de leurs projets, de la situation en général. Mais je ne perdais pas au change, puisqu’à Hammamet aussi les mêmes rêves habitaient les mêmes Tunisiens.
Nous y arrivâmes vers vingt-deux heures, et je pensais qu’il était déjà tard pour observer la ville, ses habitants, ses touristes. Ce fut une jolie surprise pourtant, puisque j’y découvris une ruche sympa. Les commerces étaient ouverts, les gens étaient attablés à des terrasses, ou flânaient en riant, le long des plages, au centre ville, et un peu partout où nous avions été jeter un coup d’œil, mon fils et moi.
Une seule ombre au tableau. D’habitude, à cette époque, Hammamet était déjà pleine de touristes. Ce n’est pas le cas aujourd’hui malheureusement. Mais cela n’entame pas la ténacité des Tunisiens qui continuent de croire que le plus dur est passé, et que la liberté peut s’accommoder avec la prospérité, avec l’affluence des touristes, et surtout celle des voisins et des frères.
Courageux tunisiens qui font contre mauvaise fortune bon cœur, et qui continuent de se préparer comme si les touristes allaient arriver en masse. Partout où j’ai été, dans les boutiques, les restaurants, les sandwicheries, les cafés, les professionnels sont à leurs postes, le sourire aux lèvres, et le courage en bandoulière.
Dans la rue, une sympathique animation. Ambiance de convivialité et de tolérance mutuelle. Des femmes détendues et souriantes se promènent, les unes en hijab, les autres à l’occidentale, sans que ni les unes, ni les autres, attirent de regards insistants de qui que ce soit.
A Hammamet, que vous soyez un rigoureux pratiquant, ou un adepte de Bacchus, vous faites ce que vous voulez, en toute liberté, tant que vous ne vous avisez pas de régenter celle des autres, ni d’exposer vos états de façon publique et manifeste.
Il fait bon vivre dans ce beau pays
Aujourd’hui, assez tôt le matin, nous sommes partis, mon fils, mon petit-fils et moi, faire un grand tour de la ville. Nous avons visité la citadelle almohade, le marché de l’artisanat, et surtout les plages. Et pour la première fois depuis que j’ai quitté mon pays en 2003, je me suis vraiment senti chez moi. J’ai baigné dans la lumière dorée de notre cher Maghreb, je me suis retrouvé parmi des gens qui parlent ma langue, qui me ressemblent, qui tutoient la liberté, et qui ont pris le train pour une vie meilleure, plus digne. Où la joie d’être n’est pas proscrite, où ceux qui habillent leur mine du rictus de mépris n’ont plus droit de cité.
Je ne veux paraître ni ingénu, ni dithyrambique, sur ce que j’ai vu à Hammamet, mais je suis heureux de confirmer que toutes les infâmes calomnies qui sont répandues sur la Tunisie ne reposent sur rien de vrai. La seule et unique dégradation civique que j’ai constatée, et qui n’existait pas avant la révolution se manifeste par la pollution sonore de quelques mobylettes qui roulent à échappement libre. C’est dommage, mais ce n’est pas si grave. Sinon, et à la seule condition d’aimer la liberté vraie, celle qui est fondée sur le respect de soi, et qui règne désormais en Tunisie, il fait bon vivre dans ce beau pays.
Oui, certes, on ne passe pas d’un régime policier d’une si atroce intensité, à la démocratie la plus débonnaire, du jour au lendemain. Des étapes, parfois douloureuses, souvent dures à traverser sont nécessaires. Mais le peuple tunisien a eu la chance d’avoir eu un Bourguiba dans son histoire, qui a su donner aux vraies valeurs la place qui devait leur échoir. Et les fruits de cette révolution culturelle, qui n’a jamais prétendu à ce qu’elle était pourtant, sont ceux qui continuent de soutenir toute la nation tunisienne aujourd’hui, en ces temps de profonde mutation. Ce n’est pas par hasard que la révolution de jasmin, qui a ouvert une brèche immense partout où le despotisme sévit, a été véritablement exemplaire. Nous avons vu tout un peuple se lever comme un seul homme, réclamer le droit à la liberté et à la dignité, souvent au prix du sang, mais sans rien saccager, sans rien brûler, sans rien dévaster. Parce que les Tunisiens sont restés, malgré les effets mortifères du régime Benali, un peuple éminemment policé, politisé, affable et doux. Je crois que le seul vrai sous-développement est celui du civisme. Or en Tunisie, c’est un maître mot, un gouvernail et un pôle. Tout dans le Tunisien, d’une façon générale, est construit sur le respect scrupuleux du savoir-vivre en société. Tout ! Le Tunisien est un être éminemment sociable, et malgré quelques tensions qui se nouent parfois, autour d’une démocratie en gestation, des velléités d’embrigadements plus que des heurts, la société tunisienne reste apaisée et forte. La propagande qui tente de priver la Tunisie de rentrées financières considérables ne repose sur rien de vrai. Parce que la violence ne peut avoir de prise sur le peuple tunisien. Elle glisse sur lui comme le fait la pluie sur les plumes d’un oiseau aquatique.
Pour ma part, je suis heureux d’être en Tunisie. Et je suis encore plus heureux de vivre ces moments privilégiés, d’un peuple qui renoue avec lui-même, et qui ne se laissera plus jamais enfermer dans un quelque despotisme que ce soit.
*- Journaliste algérien résident en France.
Note :
[1] Passer ses vacances en Tunisie est un acte militant
Articles du même auteur dans Kapitalis:
L’Algérie et l’épreuve des prochaines élections
L’Algérie cherche à faire échouer les révolutions en Tunisie et en Libye