Les «démocrates», entrés dans l’infernal piège gouvernemental et ceux restés dehors, risquent, à force de compromis, de tomber dans la compromission.

Par Dr Walid Alouini


 

Allons bon ! Les artistes ont provoqué encore la sensibilité du «Tunisien». Tout comme ces «salauds» de Nessma qui ont touché à la fibre sacrée du «Tunisien».

Le palais de Abdellia a fermé ses portes car coupable d’avoir hébergé des œuvres impies, les organisateurs poursuivis en justice.

Moi, j’attends qu’ils décapitent les artistes sans procès, flagellent ceux qui sont allés visiter l’exposition avec double ration pour ceux qui ont acheté une œuvre non halal.

En prime, pour punir cet infâme palais qui a osé abriter ces frasques picturales choquantes, je propose sa transformation en prison pour criminels irrécupérables. Bien fait!

Voilà où le compromis pourrait nous mener! Question d’imagination! Tous les délires sont permis sans règlements, sans règles, sans institutions, sans cadre légal.

De compromis en compromis, forcés de capituler devant la bêtise instaurée en règle de vie nous cédons sur nos espaces de libertés.

Nous reculerons par paresse ou par peur.

Seule la peur est en mesure de nous faire reculer! Qu’à cela ne tienne, on y pourvoira!

Le marchandage des valeurs fondatrices

Je me souviens au lendemain de la révolution quand, lors de réunions partisanes, les décisions impliquant un positionnement partisan, comme l’égalité des sexes dans l’héritage et la laïcité, étaient invariablement reportées. «Ce n’est pas le moment. Il y a plus urgent à faire» - «Nous ne pouvons pas tout avoir en même temps» - «Obtenons cela puis on avisera».

Le marchandage des valeurs fondatrices avait commencé. Universelles, belles, révolutionnaires au début, elles finissaient consensuelles après de longues veillées. Stérilisées, aseptisées. Elles finissaient en «valeurres».

Des slogans religieux sur le mur adjacent au Palais Abdellia.

Mais même à ce moment, nous faisions encore des compromis entre gens de compromis. A savoir que chacune des parties devait y gagner quelque chose et y laisser quelque chose aussi.

Or plus nous avançons dans l’ère postrévolutionnaire et plus nous faisons des compromis avec ceux qui n’en admettent aucun!

Plus ce n’est pas le moment de faire passer des films, de créer librement, de porter ce qu’on veut, de dire ce qu’on veut, de boire ou pas, de vivre tout court. Je ne me souviens pas avoir vécu une telle situation de bigoterie dans ce pays. Pas plus que mon père, ma grand-mère, ou mon arrière grand père.

Aussi loin que mes racines plongent ici, je n’y trouve que modération, liberté d’expression, autonomie et cultures, religieuse comprise.

Ceux que la liberté indigne en permanence

On nous force à nous renier au nom de leur idéologie importée des souks moyen-orientaux. Administrée et ânonnée à longueur de journée au nom de  notre appartenance musulmane. Merde, on a autre chose à faire. On bosse nous!

Notre religion n’est pas en otage chez vous, nous la pratiquons à notre façon depuis des siècles et si notre façon de faire déplait, qu’à cela ne tienne, nombre de pays adeptes de votre culte vous accueilleront à bras ouverts. Nous sommes prêts à faire les transferts quand vous le souhaiterez.

A force de compromis, nous sommes en train de perdre notre âme. Et de tanguer sur notre socle de valeurs en y ajoutant des amendements visant à calmer les barbes indignées. Il y en a que la liberté indigne en permanence.

Mais alors ceux qui s’insurgent contre nos libertés et prônent leur doctrine sont drôlement accoutrés, rien à voir avec le Tunisien. Ils parlent un arabe orientalisé, jacassent des paragraphes entiers visant à nous impressionner, jettent des regards noirs à ceux qui osent leur parler différemment et tout cela au nom de dieu le père.

Zut, vous avez une procuration? Non? Circulez alors!

Ces Tunisiens venus d’une autre dimension

L'art énerve les dogmatiques.

Ceux là viennent nous dicter les films que l’on peut voir ou pas, les œuvres correctes ou pas, les tenues à porter, les boissons que nous devons boire, la taille du poil et du cheveu. Espérons qu’ils ne nous imposeront pas le port des tongs.

Tout cela avec la politesse qu’on leur connaît: gourdins, épées, insultes et agressions physiques.

Ces Tunisiens venus d’une autre dimension entendent nous apprendre à vivre (comme eux? comme leurs maitres?) et à lâcher petit-à-petit ce qui fait notre spécificité au profit d’un modèle sociétal d’un autre âge et qui de toutes les façons est à des années lumière du modèle tunisien.

Et qu’on ne vienne pas nous dire qu’on ne connaît pas la Tunisie. Assez de paternalisme bordel!

La peur nous fait basculer dans le compromis: détachons cette œuvre, ce n’est pas ça qui va nous tuer, anticipons les désirs du bourreau présumé.

Portons des shorts plus longs, voilons-nous en allant à la médina, cachons-nous pour boire une bière, baignons-nous avec des Marcel et des robes, apprenons le turc, tolérons qu’on nous fasse violence à la moindre incartade… c’est pour notre bien.

Et puis est-ce le moment de faire le printemps des artistes? Est-ce le moment de parler de laïcité? Est ce le moment de projeter ‘‘Persépolis’’? Oui!! C’est le moment, ne vous en déplaise! C’EST LE MOMENT ! C’est même le moment ou jamais.

Ils l’ont bien compris eux, non? Ils nous pompent l’air avec leurs vertus de pacotille et leur morale à deux balles. Ils nous la font ingurgiter par tous les trous.

On a toujours été potes avec Dieu dans ce pays et il nous l’a toujours bien rendu. Depuis que vous parlez en son nom, on se porte bien plus mal. Il faut vous le chanter pour que vous le compreniez?

Allez en Afghanistan, vous serez super bien accueillis. Pourquoi vous ramez ici à contre courant?

Ne pas marchander sur l’essentiel

Une chose me chiffonne pourtant. Je n’aime pas les odeurs de pieds, les tongs chaussettes, les barbes hirsutes, les caftans, les appels à la prière tonitruants qui sont devenus un véritable harcèlement sonore, les stands sauvages qui croulent sous la mauvaise littérature importée d’Intégristan… que devrais je faire?

Aller avec huissier notaire constater que le niveau de décibels dépasse largement celui autorisé? Aller dire que leur accoutrement m’indispose autant que le bikini qu’ils abhorrent? Maintenant, j’ai décidé de regarder méchamment ceux qui portent barbe, qamis et burqa!

J’ai décidé!! Je suis libre non?

Ils regardent bien agressivement ma mère de 85 ans se baigner en maillot, ne parlons pas de ma femme et de ma sœur qui n’osent plus mettre le pied à la plage… «nues»!

Où s'arrête la libeté d'expression artistique et où commence la censure?

Eux, pourtant, n’hésitent pas à agresser, à vilipender, à insulter ceux qui ne répondent pas à leurs critères.

Eux ne sont pas dans le compromis.

Et devinez quoi? Ils ont raison!

Partant du principe qu’ils avaient raison de ne pas être dans le compromis sur leurs idées et valeurs, j’ai décidé de faire la même chose qu’eux. Pas de compromis avec mes valeurs!

Ne pas bouger d’un iota sur mes valeurs, ne pas marchander sur l’essentiel!

L’essentiel étant ma liberté de penser et d’agir au sein d’un Etat de droit! Que de chemin à RE-parcourir alors que nous étions si proches du but!

Pendant ce temps là, au lieu d’avoir un seul parti d’opposition, la guerre des gangs continue.

Un seul parti! Virez les têtes et travaillez en réseau. Arrêtons les enfantillages et travaillons ce pauvre pays en lambeaux!

Cessons les initiatives de toutes sortes et unissons-nous. La mésentente nous sera fatale. Vous le savez!

La censure a recommencé bien plus violente qu’avant, quel galeriste osera exposer l’année prochaine à la Abdellia si Abdellia il reste? Les artistes devront-ils s’expatrier pour s’exprimer? Qui sont ces machins dans les réunions qui parlent d’art correct ou pas?

Si nous transigeons sur l’essentiel pour calmer les uns et les autres, face à la détermination en face, nous ne ferons pas long feu!

L’heure n’est plus au discours ni au verbiage, l’heure est grave, seuls les actes feront foi.

Au premier plan de l’Histoire, les «démocrates» entrés dans cet infernal piège gouvernemental et ceux restés dehors aussi à gesticuler chacun dans sa mare. L’Histoire vous regarde, vous jouez vos enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants à venir. Vous n’avez droit qu’à une erreur! Et vous l’avez déjà faite.

A force de compromis, on tombe dans la compromission.

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