Les démocrates tunisiens doivent œuvrer ensemble afin que personne ne puisse dans notre pays subir la violence en raison de ses convictions religieuses, idéologiques ou philosophiques.
Par Par Wajdi Limam
En quelques heures, des postes de police furent incendiés, des bureaux de l’Ugtt saccagés, des espaces de libre expression attaqués, des tribunaux brûlés.
Trop facile de crier à la menace intégriste. Trop facile de crier au laxisme du ministère de l’Intérieur. Trop facile de se complaire dans des prédictions auto-réalisatrices sur le chaos provoqué par l’islamisme.
A force de vouloir le chaos
Car osons le dire clairement, à force de vouloir le chaos, de crier que tout va mal, de rêver de l’écroulement du gouvernement tunisien, et par extension de l’écroulement de la démocratie tunisienne, car cette démocratie aurait choisi Ennahdha pour la diriger, il y a de la part de certains une profonde satisfaction vis-à-vis de la situation actuelle. Un énorme rictus de satisfaction orne le visage de toute une frange de la classe politique tunisienne qui voit en l’islamisme le mal absolu. Ceux-là mêmes, colonisés par la haine de l’islamisme, dont les cerveaux stériles ne sont plus aptes à rien produire ni à rien accepter du camp islamiste.
Soyons un peu rationnel au milieu de ce chaos psychique ambiant, les faits d’abords: mardi, au même moment, en différents points, on assiste à des attaques coordonnées menées conjointement entre salafistes et casseurs. Ces attaques furent dirigées contre des lieux symboliques de la liberté de pensée en Tunisie, mais aussi et surtout en direction de tribunaux tunisiens.
Evoquons le contexte ensuite: ces attaques se déroulent quelques jours après que Ayman Al Zawahiri et un leader salafiste tunisien Abou Ayoub appellent au renversement du gouvernement. Et quelques jours après que des mesures importantes furent prises dans le but d’écarter des responsables de la justice impliqués auprès de l’ancien régime.
Se tenir aux côtés de ce gouvernement
C’est à partir de ces faits que des responsables politiques tunisiens et des acteurs éminents de la société civile s’empressent d’attaquer – encore – le gouvernement, en le taxant de laxiste, et en appelant à sa démission.
Au moment, où les démocrates, ceux qui veulent sincèrement renforcer et faire aboutir l’expérience démocratique tunisienne devraient s’unir, non pas derrière, mais aux côtés de ce gouvernement, afin qu’il puisse remplir sa mission; tout de suite, à un moment aussi sensible, les invectives et les noms d’oiseaux fusent.
Oui, c’est dans des instants comme celui-ci que nous devons être du côté du gouvernement légitimement élu par le peuple, sans être aveugle ni dupe de ce qui se passe sous nos yeux. Oui, une partie de l’administration, en tout cas des directions de l’administration, qui doivent leurs statuts et leurs avantages, non pas à leurs compétences, mais plutôt à la servilité dont ils ont fait preuve devant l’ancien régime. Une partie de cette administration a aussi, il faut le dire, collaborer, dénoncer, s’est enrichie sous l’ancien régime. Ce sont eux qui aujourd’hui ne souhaitent pas le prolongement de l’expérience démocratique. Ce sont eux, qui alliés aux forces de l’ombre de l’ancien régime, animent le bras des casseurs, qui étrangement attaquent les tribunaux, et non pas les bijouteries… A leurs côtés, on trouve encore et toujours ces fameux «salafistes» dont on ne sait trop d’où ils sortent, mais dont l’un des principaux responsables, impliqué lors de l’affaire de Soliman, fut, sous Ben Ali, libéré rapidement et put disposer d’un passeport.
Le principe immuable d’un homme une voix
Ces prétendus «salafistes», dont on ne peut ignorer qu’une partie certes est constituée de personnes pacifiques, ont une branche de plus en plus violente, servant des intérêts encore mal identifiés. Les mêmes qui furent empêchés d’ouvrir des camps d’entrainement en Libye par le gouvernement de Tripoli. Les mêmes qui, ne croyant pas à l’expérience démocratique, souhaitent en découdre prioritairement avec Ennahdha (des mubdadis, soient pire que des infidèles).
Il y a aujourd’hui une connivence d’intérêt, une connivence politique qu’il faut cesser de faire semblant d’ignorer, entre les partisans d’un régime autoritaire, qui veulent sauvegarder leurs intérêts et défendre un idéal de Tunisie fantasmée (la Tunisie moderne et «laïque»). Et d’autres partisans d’un régime autoritaire, souhaitant eux aussi retirer le choix du peuple à se choisir des dirigeants, et voulant aussi créer une Tunisie idéale fantasmée (un Etat islamique, voire un «califat»).
Il s’agit aussi de demander, d’exiger même du gouvernement actuel de faire ce que nous attendons de lui. De permettre la rédaction d’une Constitution, d’appliquer concrètement la justice transitionnelle et de cesser de vouloir louvoyer avec les partisans de l’ancien régime.
Il convient aussi, à ce gouvernement, et plus largement à l’Etat tunisien, de remplir son rôle de défenseur de la religion musulmane. En redonnant à la Zitouna son rôle historique, en faisant la promotion d’un islam du juste milieu ancré dans nos traditions.
Nous démocrates tunisiens, nous devons être solidaires, et converger vers la démocratie et la liberté, afin que personne ne puisse dans notre pays subir la violence en raison de ses convictions religieuses, idéologiques ou philosophiques.
Ensemble nous devons nous battre pour la cohésion nationale d’une Tunisie ancrée dans la démocratie et reconnaissant le principe immuable d’un homme une voix.