Partout dans le monde, le terrorisme a eu des conséquences néfastes sur les économies des pays qui en ont été atteints. On calculera un jour l’impact négatif de l’extrémisme religieux sur l’économie tunisienne.
Par Anis Wahabi*
Selon Einstein, deux choses sont infinies, l’univers et la bêtise humaine. Quoique, pour la première, il n’était pas si sûr.
Peut importe son nom (terrorisme, intégrisme, extrémisme, fanatisme, etc.), ce phénomène est une parfaite illustration de la bêtise humaine qui croit pouvoir changer l’avis des autres par la terreur.
Les conséquences économiques du terrorisme
Il est toujours utile de rappeler que ce phénomène n’est pas propre aux pays arabes ou islamiques. On trouve ses origines aussi au sein de l’église catholique romaine, particulièrement française, lors de la crise moderniste, lorsque le courant conservateur de cette église oppose aux partisans d’une ouverture au monde moderne un catholicisme dit «intégral» qui défend le maintien des vérités catholiques traditionnelles telles qu’elles ont, selon eux, toujours été enseignées.
Les économistes étudient depuis de nombreuses années déjà les diverses conséquences économiques du terrorisme. À cet égard, le premier exemple qui vient à l’esprit est le bilan du 11 septembre 2001. La douleur et le deuil occasionnés par ces actes s’accompagnent d’une perte de capital humain. La destruction d’importants moyens de production entraîne l’immobilisation de capacités de production en aval, ce qui ne va pas sans coûts supplémentaires.
D’après le World Economic Report du Fonds monétaire international (Fmi) de décembre 2001, aux Etats-Unis, les destructions et les dépenses qui leur sont directement liées ont été évaluées à 21,4 milliards de dollars (21,4 $M), par le US National Income and Product Accounts, décomposées ainsi:
1) coûts de remplacement des bâtiments, équipements, et logiciels: 16 $M (dont 14 pour le secteur privé); les dommages à la propriété créés par les tremblements de terre de Californie en 1994 et par le cyclone de Andrew de 1992, étaient plus importants;
2) autres coûts d’assurance : 5,2 $M (dont 2,6 d’assurance-vie, et 1,8 $M de compensations versées aux salariés). Ces 21,4 $M représentent environ 1% du produit national annuel. On peut y ajouter 4,8 $M pour la nouvelle prise en charge de la sécurité des aéroports par une agence fédérale, qui donne une charge de 26,2 $M. C’est environ 7% des 379 $M du budget militaire, dans le projet de budget 2002-2003, qui prévoit par ailleurs une augmentation de 48 $M.
Les effets financiers sur les marchés de capitaux ont été sensibles en septembre. Du 11 au 21 septembre, l’indice S&P500 a perdu 11,6%, le Nasdaq 16,1%, l’Euro-Stock 17,3%. Mais la «reprise» s’est affirmée dès la fin septembre avec des hausses significatives (Nasdaq: 36%; SP: 19%, Euro-Stock: 27,6 %...).
En ce qui concerne le crédit, c’est une forte augmentation immédiate du volume de la monnaie fournie par la Banque centrale d’environ 100 $M qui a atténué la brutalité du choc. La quantité de monnaie (Mzm) a augmenté de 20% au 4e trimestre 2001, contre 7,5 % à la même période 2000. La baisse spectaculaire des taux d’intérêt à court terme, pendant l’attaque, s’est poursuivie en novembre atteignant à la fin du mois le niveau de 1%.
Le recul de l’investissement extérieur et du tourisme
Deuxièmement, le terrorisme réduit le plus souvent l’afflux de capitaux étrangers en provoquant une baisse de la fréquentation touristique et du volume des investissements directs étrangers.
Les terroristes prennent régulièrement le tourisme pour cible. Les attaques dirigées contre des sites touristiques sont relativement faciles à organiser, ont un très fort retentissement médiatique international du fait que leurs victimes sont originaires de nombreux pays, et peuvent mettre sérieusement en danger l’économie du pays visé. En Espagne, l’Eta s’en est prise plusieurs fois aux touristes. D’après une étude portant sur la période 1970-1988, qui a connu en moyenne 13 attentats terroristes par an, un seul de ces attentats aura dissuadé en moyenne plus de 140.000 touristes de visiter le pays. Cela signifie qu’en 1988, année où 18 attentats ont eu lieu, la fréquentation touristique a diminué de quelque 30%.
Des effets analogues ont été observés en Grèce, en Italie et en Turquie. Les activités terroristes affectent aussi les décisions des investisseurs directs, puisqu’ils augmentent leurs coûts et diminuent l’attrait du pays concerné. Lorsque les investisseurs ont le choix entre plusieurs pays, il suffit qu’un de ceux-ci connaisse un début d’agitation terroriste pour que l’afflux de capitaux étrangers faiblisse sensiblement.
Une étude montre qu’en Espagne, de 1975/76 à 1991, le volume des investissements directs a baissé de 14% en moyenne, réduisant ainsi la formation de capital. Ce tarissement ralentit aussi le transfert de connaissances technologiques, ce qui accentue l’impact négatif que de telles actions peuvent avoir sur la croissance. Dans la même période, les nombreux attentats terroristes de gauche qui avaient frappé des entreprises étrangères en Grèce avaient fait reculer les investissements directs étrangers de 12% en moyenne dans ce pays.
Les démonstrations de force des extrémistes religieux portent un coup à l'image du pays.
La chute de la consommation et de l’épargne
Troisièmement, l’insécurité modifie les habitudes des particuliers en matière de consommation, d’économies et d’investissement, ce qui entraîne une distorsion des allocations de ressources dans le pays touché.
Par exemple, il a été démontré que le revenu par habitant a diminué de quelque 10% au Pays basque espagnol depuis 1970 en raison du terrorisme.
Le terrorisme occasionne aussi des préjudices non négligeables au niveau du commerce international, surtout en raison du renforcement des mesures de sécurité nécessaires.
Une analyse des flux commerciaux entre plus de 200 pays dans les années 1960-1993 montre qu’en cas de doublement du nombre d’attaques terroristes, le volume des échanges entre deux pays baisse de 4%. D’où un fort recul des gains de prospérité.
Hausse des coûts, baisse de la compétitivité des exportations
Quatrièmement, le renforcement des mesures de sécurité engendre des coûts indirects. Or, celles-ci, économiquement improductives, mobilisent des ressources déjà rares et renchérissent les transactions, ce qui pèse parfois très lourd sur les échanges extérieurs.
Selon l’Ocde, le renforcement des mesures de sécurité a probablement un effet asymétrique sur le coût des échanges internationaux. Les exportations des pays en développement supportent souvent des frais de transport plus élevés ad valorem (en particulier pour les marchandises en vrac et pour les produits périssables qui sont transportés par avion), de sorte que les conséquences seraient disproportionnées pour ces exportations. Une procédure de «certification» de certains ports étrangers pourrait être discriminatoire si les ports des pays en développement ne parvenaient pas à obtenir la certification. Les mesures reposant sur la connaissance du co-contractant, grâce auxquelles des intermédiaires agréés bénéficient de procédures douanières simplifiées, peuvent également favoriser les grandes sociétés de négoce par rapport aux petites entreprises basées dans les pays en développement. Les initiatives ainsi envisagées risquent de créer une «voie lente» pour les exportations des pays en développement, en augmentant comparativement les coûts de mise en œuvre des réglementations et en érodant leur compétitivité.
Mille et un autres effets de l’intégrisme sur l’économie peuvent être évoqués, je me contente, pour finir de citer le cas de renforcement des procédures de visa et le contrôle de l’immigration qui pourrait diminuer le nombre des travailleurs des pays en développement employés à l’étranger et donc se répercuter sur les envois de fonds.
Ceci n’est qu’un petit aperçu de ce que le fanatisme politique peut engendrer dans un pays. Alors qu’une année auparavant, je parlais de la révolution économique, voilà que la frustration provoquée par un nouvel épisode de la bêtise humaine «à la tunisienne» me résigne à traiter de tel sujet, essentiel mais, décevant.
* Expert comptable.