La Libye prépare ses élections, après 42 ans de régime Kadhafi. Les élections, prévues pour le 19 juin, auront lieu le 7 juillet. Les citoyens libyens vont devoir élire une assemblée constituante et choisir un gouvernement de transition.
Par Samah Elmeri*
Le mois dernier, le Conseil national de transition (Cnt) avait annoncé l’interdiction des partis fondés sur une affiliation religieuse, tribale, régionale ou ethnique dans la course électorale. Bien que vite abandonnée, cette interdiction et les discussions qu’elle a engendrées ont soulevé des questions importantes sur ce qui rassemble et ce qui divise les Libyens, ainsi que sur la gestion de la diversité dans le nouveau système démocratique.
Les partis religieux et la transition démocratique
Pour un grand nombre d’observateurs occidentaux, les partis religieux pourraient constituer un obstacle à la transition démocratique dans les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Or les Libyens, pour leur part, n’ont pas peur de ces partis et ne les considèrent pas comme une menace pour la démocratie – d’ailleurs le mécontentement provoqué par l’interdiction de ces partis dans les élections libyennes le montre bien.
Sous l’ère Kadhafi, les partis politiques étaient interdits; ils n’ont été introduits et autorisés à participer aux élections qu’après la révolution. Il existe désormais plus d’une trentaine de partis politiques prêts à se lancer dans la course électorale. C’est la première fois que les Libyens prennent part à un système démocratique et expriment leurs opinions sans risquer leur vie. C’est ainsi qu’ils vont d’ailleurs contribuer à la construction de la Libye qu’ils ont longtemps attendue.
Quid des partis fondés sur l’affiliation à une tribu?
Alors, qu’en Occident, on se focalise sur les partis islamiques craignant qu’ils constituent des menaces potentielles pour la démocratie, les Libyens eux-mêmes sont davantage préoccupés par les partis tribaux fondés sur l’affiliation à une tribu – ce qui a plus tendance à attiser les conflits que l’affiliation religieuse. On fait partie d’une tribu selon la famille dont on est issu: l’affiliation tribale ne peut pas changer. Les partis fondés sur l’affiliation à une tribu sont donc exclusifs. Sous Kadhafi, l’appartenance à une tribu apportait une protection. Comme stratégie de survie, Mouammar Kadhafi a d’ailleurs utilisé son influence auprès des tribus pour chercher des soutiens et empêcher l’effondrement de son régime.
Ainsi, l’interdiction des partis tribaux est un pas en avant important: il permet d’éviter le vote pour un parti, uniquement sur la base de la tribu qu’il représente – vote qui ne ferait qu’accentuer les divisions.
Au contraire, les partis religieux permettent une adhésion plus large. En Libye, une grande majorité de la population est musulmane. Aux yeux des Libyens, leur religion n’est pas en conflit avec un système démocratique et d’autres valeurs, comme notamment le respect des droits de la femme. Ils ne pensent pas qu’un parti de mouvance religieuse tende à diviser le peuple, puisque celui-ci, dans sa vaste majorité, partage les mêmes croyances religieuses et considère celles-ci comme aptes à satisfaire la diversité et les différences d’opinion.
De plus, en observant les pays voisins, comme la Tunisie et l’Egypte, où les partis politiques islamiques ont gagné les élections législatives, on peut dire qu’un schéma semblable est très probable en Libye. Exclure ces partis de la course électorale attisera les tensions tandis que leur permettre d’y participer contribuera au contraire à dissiper celles-ci – et servira aussi d’exemple de transition stable vers la démocratie.
Les Libyens sont novices en matière de démocratie. Participer aux décisions du gouvernement, c’était du jamais vu jusqu’à il y a un peu plus d’un an. La diversité dans la Libye d’aujourd’hui est principalement liée aux vues politiques des citoyens sur le genre de dirigeants politiques qu’ils souhaiteraient voir à la tête de leur pays, après quatre décennies de dictature.
En fin de compte, aujourd’hui, les Libyens apprennent à gérer la diversité d’une manière à pouvoir se rassembler plutôt que se diviser – c’est d’ailleurs ce principe qu’ils mettront en avant dans les prochaines élections.
* Diplômée de l’Université de l’Iowa, l’auteure milite pour les droits de la femme et la réintégration des jeunes dans les sociétés sortant d’un conflit
Source: Common Ground News.