Loin d’avoir établi un dialogue, les deux camps, gouvernement comme opposition, jouent un match de tennis qui commence réellement à nous causer des torticolis.
Par Nadia Tarhouni
Le temps passe, la bipolarisation persiste. Pire même, elle s’aggrave. A chaque coin de rue, il n’y a pas si longtemps, résonnaient des voix scandant des slogans pleins de valeurs universelles: égalité, solidarité unité face à un adversaire commun (le Rcd et l’ancienne famille régnante). Des idéaux vite rattrapés par la politique politicienne. Qu’en reste-t-il aujourd’hui? Des mots ou des maux…
La révolution a porté plusieurs espoirs, l’un des premiers est la démocratie. L’expression de cette démocratie a pris corps le 23 octobre 2011. Des élections libres et indépendantes exigent des candidats sérieux, pédagogues, et un projet pouvant recevoir l’assentiment d’un peuple en attente.
Des salafistes ou pas salafistes?
Faute d’avoir pu bâtir un élan durable, nous voilà aujourd’hui face à un système binaire, concept qu’on pensait réservé à l’informatique, mais qui finalement s’est installé dans le raisonnement intellectuel tunisien. Il faut être «pour» ou «contre». L’autre par défaut, quoi qu’il dise et quoi qu’il fasse, est l’ennemi. Comme disait Sartre: «L’enfer c’est les autres».
Loin d’avoir établi un dialogue, les deux camps, gouvernement comme opposition, jouent un match de tennis qui commence réellement à nous causer des torticolis. Un manichéisme de plus en plus pesant. Prenons l’exemple de l’affaire d’El Abdellia. Au lieu de dire que celle-ci ne se résume pas à quelques phrases du genre «les salafistes* ont attaqués El Abdellia», ou bien «il n’y avait aucun salafiste à El Abdalia», nous aurions mieux fait d’apporter une analyse plus réaliste.
Des salafistes en Tunisie il y en a, des voyous aussi. Ils n’étaient pas tous à El Abdellia, de même pour les sbires du Rcd qui travaillent à l’échec de ce processus démocratique. Plusieurs versions ont fusé ces derniers jours. Mais nous pouvons en déduire qu’à ce stade, cet incident déplorable n’est pas l’œuvre d’un seul groupuscule mais bel et bien d’un ensemble de petits groupes qui ont sûrement mené cette attaque avec des motivations différentes. Une convergence d’intérêt informelle qui ne peut qu’être soulevée et analysée plus profondément.
Il est du rôle et du devoir du gouvernement d’appliquer les lois en vigueur à l’encontre de ces agresseurs. Encore faut-il avoir, pour cela, une justice indépendante. Mais ceci est un autre débat.
Néanmoins, soyons réalistes: le processus de «nettoyage» des administrations comme des tribunaux des anciens Rcdistes est loin d’être une mince affaire.
Retour vers le passé et impression de déjà vu
Le retour sur le devant de la scène politique de Béji Caid Essebsi ne peut qu’être à son avantage dans un climat sécuritaire instable. En effet, les Tunisiens et Tunisiennes qui ne se reconnaissent ni dans un camp ni dans l’autre sont taxés presque systématiquement d’ennemi des deux camps. Tous regardent le match et remarquent que celui-ci s’éternise. Jusqu'à quand? Les attentistes se fatiguent et risquent de se jeter dans les bras d’un ancien ministre de l’Intérieur de Bourguiba. Un retour vers le passé qui ne peut que nous donner une impression de déjà vu.
Le temps n’est pas à la contemplation, ni au match de tennis et encore moins aux débats d’égos. En ce moment se joue notre histoire. Le monde a les yeux rivés sur ce petit pays qui a défrayé la chronique alors que certains ne le connaissaient même pas de nom. Nous n’avons pas de droit à la faute.