L’autre Appel de la Tunisie: Pour une grande initiative citoyenne pour le droit fondamental et vital d’accès inconditionnel à l’eau. Une mobilisation prometteuse pour l’eau se dessine…
Par Habib Ayeb*
Depuis plusieurs jours, de nombreux citoyens en Tunisie réagissent en force face aux ruptures d’eau dont souffrent plusieurs villages et villes du pays. De l’indignation à la proposition en passant par la colère plus ou moins retenue, nombreux sont passés à l’action en apportant des aides ponctuelles ou en faisant pression sur les autorités locales et sur la société Sonede en charge de l’eau potable dans le pays (gestion, politique, distribution, tarification, infrastructures, traitement...).
Cette vague d’indignation suivie ou non d’action est en elle-même source d’espoirs et signifie clairement que les notions de citoyenneté, de biens publics et communs, de solidarité... sont non seulement présentes mais se renforcent, surtout depuis la fin de la dictature et l’ouverture de multiples débats de société concernant le présent et le futur. C’est extrêmement prometteur.
Les raisons de l’indignation
Maintenant une question s’impose: pourquoi cette vague soudaine d’indignation et de colère? Pourquoi maintenant, alors que ces régions/populations connaissent ces difficultés d’une manière ponctuelle (souvent l’été) ou chronique (non accès à l’eau potable)?
Plusieurs réponses possibles me viennent à l’esprit. Il y a d’abord ceux et celles qui profitent, à juste titre, de toutes les difficultés que le pays ou certaines régions rencontrent pour critiquer les gouvernants actuels et augmenter la pression politique sur eux. C’est d’abord de bonne guerre et ceci est politiquement parfaitement légitime. Les gouvernants gouvernent (et le font très mal et dans la mauvaise direction, à mon sens) et les opposants s’opposent (il y a beaucoup à dire aussi).
Les pénuries répétées d'eau potable en pleine canicule révoltent les citoyens.
Il y a aussi celles et ceux qui sont particulièrement sensibles aux situations humanitaires (catastrophes naturelles, épidémies, guerres, famines, manques accidentels d’eau...) et ont cette capacité d’indignation et d’action immédiate pour soulager les souffrances et palier, autant que faire se peut, à la situation. Leurs actions humanistes sont plus que louables. Elles imposent le respect et favorisent l’engagement, l’implication et la participation citoyenne...
Il y a, enfin (la liste n’est évidemment pas complète), celles et ceux qui prennent réellement conscience des diverses questions liées à l’eau et surtout à l’accès à l’eau et profitent de l’occasion pour s’engager sur le court et le long terme.
Une insupportable injustice chronique
Ceci dit, il faut rappeler que les problèmes de l’accès à l’eau qui provoquent les indignations ne datent pas d’hier et que si les gouvernants actuels ne font pas grand-chose pour y pallier, ils n’en sont pas la cause.
En effet, des régions entières souffrent depuis des décennies de manques permanents ou ponctuels d’eau et une large partie des citoyens (environ 30% de la population) ne bénéficie toujours pas d’un accès permanent et sécurisé à une eau potable en quantités et qualités suffisantes. Plus qu’un accident ou une défaillance technique ici ou là, ces régions et ces populations subissent injustement une privation continue d’un des droits humains les plus fondamentaux et les plus vitaux, biologiquement et socialement parlant. Si les actions louables des uns et des autres soulagent toujours certaines souffrances, elles ne peuvent être des solutions viables sur le long terme.
Seule la reconnaissance officielle de ce droit fondamental peut être un début de solution durable.
Imposons le droit inconditionnel à l’eau
Pour cela, il faut que la constitution prochaine comporte le droit de chaque citoyen à un accès inconditionnel, garanti, permanent et sécurisé à l’eau, à hauteur des besoins réels (boire, se nourrir, se maintenir en bonne santé grâce à une hygiène...) et que ce droit puisse être revendiqué et exigé, le cas échéant, par voie de justice.
Sur le plan pratique ce droit doit être accordé à toute personne vivant en Tunisie (y compris les non Tunisiens), sans condition de revenu, d’origine, de statut social, d’opinion politique et de croyance religieuse.
En termes plus clairs, cela veut dire un accès à domicile, permanent, inconditionnel et gratuit à hauteur des besoins. Mais pour que cela puisse être possible et pour que le droit ne devienne pas une permission de gaspillage, il faut que toute consommation qui dépasse les besoins réels (on estime en général ces besoins à environ 50-75 litres d’eau par jour) soit très lourdement taxée. Donc pour assurer la gratuité de l’eau «de base», il faut imposer des prix très élevés aux surconsommations. On achète bien l’eau en bouteille à des prix très élevés, sans que cela ne révolte personne!
Des régions entières souffrent depuis des décennies de manques permanents ou ponctuels.
Ainsi en imposant le droit constitutionnalisé à l’eau et en garantissant la gratuité de la première tranche et la sur-tarification de la surconsommation, on garantira un droit humain fondamental à l’eau source de vie biologique et sociale, on imposera une justice sociale, qui nous fait défaut et on protégera une ressource naturelle précieuse pour les générations futures.
Mais, ceci ne se fera pas sans mobilisation générale. Alors profitons de la situation locale pour lancer une grande initiative mobilisatrice par tous les moyens en notre disposition. Faisons pression sur les députés, les partis politiques, les décideurs et les médias.
Organisons-nous pour l’accès à l’eau
Chacun(e) peut déjà utiliser ses propres réseaux et contacts. Mais nous devons aussi penser rapidement à créer une structure associative militante et active, qui réunisse toutes les bonnes volontés, pour défendre et exiger ce droit fondamental et vital d’accès à l’eau.
Pour cela, je propose une grande rencontre (un forum sur deux journées) qui pourrait avoir lieu début septembre, pour débattre, s’entendre sur une charte commune et décider des actions à mener sur le long terme.
Mobilisons-nous pour une bonne cause qui nous touche et nous concerne toutes et tous.
* Géographe tunisien, chercheur enseignant. Universités Paris 8 et Paris 10 (France), Université Américaine du Caire.
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