Son incarcération est une honte pour un pays qui se veut être sur la voie de la démocratie. Ses juges auraient dû réfléchir par deux fois avant de prendre la décision de l’incarcérer. N’ont-ils jamais fauté, eux?
Par Ali Ben Mabrouk
Le ministre de la Justice a affirmé récemment que Mme Bouazizi a fauté et à ce titre, elle doit être sanctionnée comme tous les citoyens fautifs. Seulement notre garde des sceaux semble oublier que Mme Bouazizi n’est pas madame tout le monde. Si elle est incarcérée aujourd’hui à la prison de Gafsa, c’est parce qu’elle porte le nom de Bouazizi.
Depuis un certain 17 décembre 2010, le nom Bouazizi est devenu un symbole de la révolution qui a ébranlé toute la Tunisie, le monde arabe et l’univers entier. Désormais la Tunisie, ce minuscule pays du nord de l’Afrique est apparemment associée à la naissance du «printemps arabe» et, au fin fonds de l’Océanie, on parle de la Tunisie comme le pays qui a provoqué cette résurrection du droit à la liberté et à la dignité.
Un personnage très largement médiatisé
Que dire alors de Manoubia Bouazizi dont le nom est sur toutes les lèvres. Cette femme, entièrement méconnue avant la révolution du 14 janvier 2011, est devenue à présent une figure politique, très largement médiatisée et sollicitée par tout le monde, surtout par les malfrats qui lorgnent vers sa supposée récente fortune et ne cessent de la harceler pour obtenir leur part du gâteau. Nombreux sont ceux qui réclament que cette soi-disant «fortune» soit être partagée et distribuée à l’ensemble de la population de Sidi Bouzid.
Manoubia Bouazizi n’a trouvé son salut que dans la fuite. Elle s’est résignée à quitter sa ville natale où la vie lui est devenue insupportable. Elle s’est refugiée chez sa fille ainée, mariée et installée à la Marsa depuis quelques années. Ses apparitions à Sidi Bouzid sont devenues très rares et, à chaque occasion, elle est huée et malmenée par la foule débordante à cause de sa récente métamorphose. On lui reproche d’avoir pleinement profité de la notoriété internationale du geste de son fils qui s’est immolé par le feu.
La prière de l’absent
Cette soi-disant fortune peut la consoler mais ne peut en aucun cas lui ramener son fils perdu à jamais. Mohamed Bouazizi n’est plus là pour la combler de bonheur et de joie. Il est parti pour un monde meilleur en emportant avec lui son secret. Car seul Mohamed Bouazizi sait ce qui s’est réellement passé ce jour de 17 décembre 2010. Seulement ce qui est sur c’est que Mohamed Bouazizi est loin d’être un voyou comme le prétendent plusieurs témoins férus de racontars. Mohamed Bouazizi, jusqu’au 4 janvier 2011, date de son enterrement, était un parfait méconnu à Sidi Bouzid. Seuls les gamins de son quartier ont une vague idée sur sa personnalité. N’étant pas très beau et suffisamment cultivé, il menait son train de vie dans l’anonymat absolu. Il se contentait de gagner sa vie en vendant à la sauvette des fruits à la station des taxis tout près du siège du gouvernorat.
Il a eu des démêlées avec la police car il refuse de se plier aux exigences de ces hommes en uniforme. S’il était un soulard comme l’a prétendu un certain nombre de témoins, il aurait trouvé un terrain d’entente avec les policiers en les soudoyant avec de l’argent ou en leur servant d’indic. Seulement Mohamed Bouazizi a préféré dire non à l’injustice et il l’a payé de sa vie.
Il s’est suicidé et de quelle manière, en s’immolant par le feu, juste devant le siège du gouvernorat. Il n’était pas un désespéré qui allait mettre fin à sa vie en se jetant du dernier étage d’un immeuble ou au passage d’un train après avoir écrit une lettre d’adieu. Mohamed Bouazizi a sûrement réfléchi sur la gravité de son acte en s’immolant par le feu devant le siège du gouvernorat, c’était le message qu’il a envoyé aux autorités mais il n’aurait jamais imaginé que son sacrifice allait changer le cours de l’histoire du monde arabe et de l’univers entier.
L’honneur perdu de maman courage
Ce sacrifice a complètement métamorphosé le destin de Manoubia Bouazizi. Jadis une femme inculte qui travaillait la terre et procédait à la cueillette des olives. Là voilà transformée en femme du monde, cultivée et bien rodée pour répondre aux questions des journalistes et personnalités politiques qui ont accouru de tous les coins de la planète pour la rencontrer et s’enquérir de la personnalité de son fils disparu.
L’on peut se demander comment une femme si douce et timide comme Mme Bouazizi peut-elle aller jusqu’à insulter un juge devant des témoins en plein centre du palais de la justice. Il faut vraiment qu’elle soit fortement agacée pour aller jusqu’à offusquer un juge dans son terrain de prédilection. Ces hommes en robe noire qui représentent la loi et la justice, ne sont pas tous des anges, il leur arrive aussi de commettre des fautes. Seulement, ils sont rarement inquiétés car on voit mal un quidam aller jusqu’à porter plainte contre un juge pour injure ou diffamation, et si par malheur l’impossible devrait se produire, l’affaire serait sûrement classée avant d’arriver à la chambre d’accusation.
S’il y a quelqu’un qui doit présenter des excuses, ce ne sera sûrement pas Mme Bouazizi à qui tout le peuple tunisien doit une fière chandelle. Elle a eu le mérite d’avoir enfanté un brave garçon qui est venu, par son sacrifice, délivrer la Tunisie de la tyrannie. Son incarcération est une honte pour la Tunisie qui se veut être sur la voie de la démocratie.