L’auteur préconise un programme d’urgence pour le désenclavement routier et ferroviaire des régions intérieures nécessitant une intensification des investissements publics pour assurer la relance économique.
Par Taïeb Houidi*
S’inscrivant dans un plan national d’ensemble, un programme d’urgence relatif au désenclavement routier et ferroviaire est ici proposé. Il concerne des actions concrètes visant à la fois à promouvoir l’attractivité des régions intérieures et à relier la Tunisie au grand ensemble régional maghrébin. Il concerne aussi l’appui à la compétitivité des zones littorales, visant ainsi à favoriser l’implantation des entreprises privées dans l’ensemble du territoire.
Ce projet national est fondé sur une politique de grands travaux d’infrastructure, impliquant l’intensification des investissements publics pour assurer la relance économique. Outre les emplois directs et indirects, il pourra stimuler la demande en biens et services des entreprises et des ménages.
Simultanément, les zones logistiques, les matériels et entrepôts y afférents, ainsi que les métiers de logisticiens pourront être développés.
Cette stratégie permettra de minimiser les temps et les coûts de production par rapport aux autre pays. Les programmes routier et ferroviaire se déclinent en un échéancier comportant plusieurs phases, dont la première pourrait être entamée dès l’année en cours.
A. Désenclavement routier des régions intérieures (dans le cadre d’un programme de 7-8 ans)
a. Deux priorités:
- la première concerne les tronçons, Oued Zarga-Tabarka, Jendouba-Le Kef, Enfidha-Kairouan, Sousse-Kairouan, Kairouan-Kasserine, Jelma-Gafsa, bretelle Jelma-S.Bouzid et Mareth-Jorf (vers Jerba), d’une longueur totale de 553 km dont 124 km d’autoroutes et 429 km de voies expresses (2x2 voies). Il est proposé de démarrer la réalisation de ces premiers tronçons dès la première année,
C'est la révolte dans les régions enclavées qui a déclenché la révolution de la dignité.
- la seconde concerne les tronçons, Jebel Oust-Siliana, Kairouan-Oueslatia-Siliana, Sfax-Sidi Bouzid, Médenine-Zarzis et Médenine-Tataouine, d’une longueur totale de 392 km de voies expresses (2 x 2 voies), soit au total, 945 Km dont 124 km d’autoroutes et 821 km de voies expresses.
Ce choix se justifie par le fait que les tronçons des régions intérieures ne sont pas encore concernés par la problématique autoroutière à un horizon de 15 ans: 12.000 véhicules/jour payants sont requis pour la construction d’une autoroute (plus du triple du trafic actuel) si l’on vise une rentabilisation acceptable au plan économique. Dans le cas d’un trafic plus faible, on retient le type route expresse, qui permet d’envisager à long terme la construction de l’autoroute.
Or, nous sommes dans des projections d’à peine 5 000 véhicules/jour payants.
Rappelons aussi que l’autoroute est payante, alors que la voie rapide est gratuite. En comparaison avec l’autoroute Tunis-Bizerte (où les passagers préfèrent prendre la route nationale afin d’éviter de payer la redevance), les habitants des régions intérieures qui on un pouvoir d’achat deux fois moindre ne seront au mieux que 40 à 50% à pouvoir souscrire au péage.
b. Deux types de profil :
- autoroute: les coûts moyens s’élèvent à 4,6 millions de dinars (MD)/Km en terrain plat et 8,5 à 8,8 MD en terrain accidenté (études, travaux d’exécution, expropriations et mise en place des stations de péage compris);
- voie expresse (2 x 2 voies): les coûts moyens s’élèvent à 1,75 MD/Km, en terrain plat et 2,45 à 3,35 MD en terrain plus ou moins «accidenté».
c. Résultats:
Nota : Les travaux des tronçons Oued Zarga-Bou Salem et Sfax-Gabès sont en cours. Les tronçons Bou Salem-frontière algérienne et Gabès-Medenine-Ras Jedir sont en phase appel d’offres ou à l’étude (réalisation dans 2-3 ans).
Echéancier :
Phase 1 (4 ans): 1.496 MD (374 MD/an);
Phase 2 (3 ans): 817 MD (272 MD/an).
Le programme pourrait être entamé dès l’année en cours par les tronçons Enfidha-Kairouan et Kairouan-Kasserine.
B. Voie ferrée Tunis-Ras Jedir (priorisation dans le cadre d’un programme de 10 ans)
Cette voie s’inscrit dans un programme plus large de renforcement de la politique du rail en Tunisie et qui concerne l’ensemble du réseau ferré national.
Toutefois, il peut paraître surprenant d’envisager la réalisation de la voie Tunis-Tripoli dans un programme d’urgence, alors que ce type d’infrastructure s’inscrit habituellement sur le long terme. Nous y voyons au contraire plusieurs justifications. Il s’agit d’abord d’un projet de grands travaux de l’Etat qui implique de gros investissement, et qui est donc créateur d’emplois. C’est également un projet «bancable», donc susceptible de trouver des candidats au financement. De plus, il contribuera fortement à l’amélioration de la compétitivité du pays, tout en reliant Tunis et le nord-est du pays aux régions plus déshéritées du nord-ouest et du sud.
Enfin, pour le volet «urgence», le programme peut être entamé dès l’année en cours par le tronçon Grombalia-Enfidha.
Mais il est utile de s’interroger sur le type de voie ferrée à mettre en place : train à grande vitesse (Tgv) ou train pendulaire? A titre d’exemple, le Tgv prévu entre Casablanca et Tanger (370 km) devrait relier les deux villes à une vitesse de 280-300km/h. Il coûterait 3,5 milliards d’euros soit 9,46 millions €/km, expropriations et matériel roulant compris. Il faut prévoir un surcoût de 30% par rapport aux prévisions.
Par comparaison avec le Maroc, le Tgv Tunis-Tripoli (800 km) coûterait 7,6 milliards €, dont 5,7 milliards € de quote-part pour la Tunisie (1 euro = 2 DT).
Quant au système de train pendulaire, il est en mesure de faire atteindre plus de 200 Km/h à un train sur des lignes classiques. Il a pour but d’augmenter le confort du passager et d’économiser sur les coûts d’exploitation. Le train pendulaire connaît un renouveau pour son rapport qualité-efficacité/coûts (Italie, Espagne, Royaume Uni): la voie nécessite seulement quelques modifications pour permettre son utilisation optimale.
Différence entre Tgv et train pendulaire en matière de coûts et de temps de parcours:
* TGV: Tunis-Ras Jedir = 11,4 milliards de DT pour 600 km et un temps de parcours de 2h 15mn.
* Train pendulaire : selon des estimations par analogie, le coût d’un Km pour une plateforme de 2 voies s’élèverait à 4,2 MD le kilomètre (y compris sa reconversion en voie «normale», car elle est actuellement en voie métrique), soit 1.764 MD pour les 420 km qui séparent Tunis de Gabès, et ce, pour une durée de parcours de 1h20 de Tunis à Sfax et 40 mn de Sfax à Gabès.
Pour le tronçon Gabès-Ras Jedir, 180 km, il faudra construire l’ensemble de la voie sur la base de 5,2 MD le km, soit 936 MD.
Le coût total de la voie pour train pendulaire s’élèverait à 2700 MD (soit 4 fois moins que celui du Tgv) pour une durée de parcours de 3h20mn.
Echéancier:
Phase 1 (4 ans): Tunis- Sfax (270 km) = 1.134 Millions de dinars (285,0/an);
Phase 2 (3 ans): Sfax-Gabès (150 km) = 630 millions de dinars (210,0/an);
Phase 3 (3 ans): Gabès-Ras Jedir (180 km) = 936 millions de dinars (312,0/an).
(Nota: le tronçon Tripoli-Ras-Jedir, à la charge de la Libye, pourrait être réalisé en phase 3).
Emplois escomptés (routes et voie ferrée): 8.000 par an soit 32 000 en 4 ans.
*Membre du Comité exécutif du parti Al-Joumhouri.
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