Quelques témoignages inédits sur l’histoire du soldat tunisien, son courage et son héroïsme sur les champs de bataille, dénichés dans un document d’archives militaires françaises et dans d’autres sources.
Par Kilani Bennasr*
Le hasard a voulu que Tunisiens et Français, amis et frères d’armes d’hier, ayant combattu ensemble au sein du 4e Régiment de Tirailleurs Tunisiens (4e Rtt) ou d’autres formations militaires françaises, deviennent plus tard des ennemis, pendant la guerre de libération de la Tunisie et particulièrement lors de la Bataille de Bizerte. Le présent papier, n’a pas l’intention de favoriser une période particulière de l’histoire du soldat tunisien, mais de diffuser des avis inédits sur le courage de ce dernier, à sa gloire, dénichés dans un document d’archives militaires françaises et dans d’autres sources.
Nelson Mandela disait: «Pour faire la paix avec un ennemi, on doit travailler avec cet ennemi, et cet ennemi devient votre associé.»
Ainsi la Tunisie et la France sont redevenues deux pays amis, après des décennies de conflits, ils continuent à l’être dans le cadre du respect mutuel et de la coopération.
L’héroïsme légendaire des tirailleurs tunisiens
La bataille de Zama opposant Hannibal àl'armée romaine
Dans les régions rudes d’Europe et d’Asie, au cœur d’hivers rigoureux, et dans des conditions souvent inhumaines, les soldats tunisiens firent constamment preuve d’une grandeur et d’un courage sans faille devant l’adversité, au Monte Cassino en libérant la ville de Sienne le 3 juillet 1944, pour la reprise de Marseille le 16 août et de Strasbourg et Colmar à la fin de cette même année et plus tard en Indochine.
Dans son livre ‘‘Héros de Tunisie de 1837 à 1957’’, Eric Deroo, écrit l’histoire jamais publiée du courage et des sacrifices de plusieurs générations de soldats tunisiens.
A la question, pourquoi les qualifiez-vous de «héros»?, l’écrivain répond: «Parce qu’ils ont participé à des actions absolument dignes d’éloges, dans des unités plusieurs fois décimées, notamment pendant la Grande Guerre (1ère guerre mondiale). Il n’y a pas de raisons de ne pas leur reconnaître, je dirais même leur restituer ce qualificatif.»
La bataille de Monte cassino à laquelle ont pris part les artilleurs tunisiens.
Pourquoi ont-ils été longtemps confondus avec les algériens? «C’est vrai, cela tient au statut particulier de la Tunisie, ‘‘protectorat’’ français; jusqu’à la fin de la 1ère guerre mondiale, les soldats tunisiens étaient désignés par l’appellation générale ‘‘algériens’’, pour des raisons d’hypocrisie coloniale (…) Les soldats tunisiens étaient oubliés par l’histoire militaire française on a beaucoup valorisé la geste guerrière des marocains, plus pittoresque, les tunisiens correspondaient moins à des archétypes coloniaux, ils correspondaient moins aux stéréotypes coloniaux qu’affectionnaient les photographes de l’époque. Ils n’étaient tout simplement pas assez ‘‘exotiques’’ pour l’œil du propagandiste de l’époque; on touche là à l’autre raison de l’oubli des soldats tunisiens dans les documents de l’histoire militaire récente; ils ont tout simplement payé le prix de leurs qualités: efficaces, nets, disciplinés.»
Dans son livre ‘‘La campagne d’Italie’’, le Maréchal Juin salue «l’existence des héros proprement tunisiens comme le Lt Hadi et le Lt Bou Akkaz, figures légendaires surgies de la masse de nos cadres confondus dans les mêmes sacrifices et les mêmes fiertés.»
Défilé du contingent de la guerre de Crimée (1855) commandé par les généraux Rechid, Mohamed Chaouch, et Osman.
Dans un autre document intitulé : ‘‘A la gloire des Tunisiens au service de la France’’, le général Jacques Humbert parlant du 4 Rtt écrit: «Je médite sur la fierté que doit inspirer à la France l’élan sans réserve avec lequel… les Tunisiens ont répondu à l’appel et se sont sacrifiés pour son salut au point de s’affirmer, à l’armistice, en titres de gloire, en tête de régiments français» à propos des tirailleurs tunisiens, il ajoute: «leur discipline spontanée, empreinte d’une vieille civilisation, faisait d’eux une troupe bien agréable à commander, inspirant toute confiance et sur laquelle n’avait nul besoin de s’imposer».
Revenant au 4e Rtt, ce régiments équivalent à une brigade d’infanterie motorisée d’aujourd’hui, formés de «lions» tunisiens, plusieurs fois décorés pour faits de guerre et dissous le 31 mai 1962, dans un article que j’ai écrit en 2002, intitulé «Les éclopés de la rive sud» en hommage à mon père feu Ali, «que Dieu lui accorde sa miséricorde», décédé cette même année et qui avait combattu au sein de ce même régiment en Italie, je cite : «L’histoire n’a pas arrêté de se répéter, Hannibal et ses soldats carthaginois ont attaqué Rome par le nord et vous. Soldats du Régiment Tunisien, avez attendu deux millénaires pour l’attaquer par le sud. Et vous réussissez. Vous avez vaincu les soldats nazis et fascistes qui barraient les chemins menant à Rome. Vous avez en fait amorcé la prise de Rome, ce que le grand Hannibal lui-même n’a pas eu la chance de réaliser.»
De Hannibal à la flotte navale fatimide
Par ailleurs, en fouillant dans l’ancienne histoire du pays, à l’époque de la dynastie fatimide (909-1171), le calife Moez Lidin Allah El-Fatimi donnait la priorité absolue aux militaires et faisait construire «le cauchemar de Rome», devenue légendaire, dotée d’une flotte navale la plus forte au monde de son époque.
Officiers d'infanterie tunisiens vers 1840.
En creusant encore, nous constatons que la machine de guerre carthaginoise connut son défi majeur en affrontant les légions romaines au cours des Guerres puniques, son armée obtint des triomphes éclatants sous le commandement d’hommes exceptionnels tel que Hannibal devenu «le cauchemar de Rome».
De nos jours, après la chute de l’ancien régime, le monde observe sans étonnement, avec admiration même, l’armée tunisienne à l’œuvre, qui continue à travailler dans le silence, avec efficacité; les grandes écoles militaires occidentales se penchent davantage à étudier son évolution qualitative et ses particularités.
(*) Colonel retraité.
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