Cette pétition, adressée au président de la république, lui demandant la grâce présidentielle pour deux jeunes jugés dans une affaire d’opinion, n’a pas suscité de réaction de la part de Moncef Marzouki. En voici le texte…*


Nous célébrons ce 25 juillet le deuxième anniversaire de la République tunisienne d’après la Révolution de la dignité alors que le jeune Ghazi Beji, en fuite de la Tunisie depuis le 9 mars 2012, a réussi à obtenir l’asile politique en Roumanie, pour devenir le premier réfugié politique de la Tunisie post révolutionnaire. Son ami, le jeune Jaber Mejri n’a pas eu cette chance puisqu’il croupit en prison depuis le 5 mars. Les deux jeunes ont été condamnés à 7 ans et 6 mois de prison pour «atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs». Leurs délits: publication d’un livre de dérision intitulé ‘‘L’illusion de l’islam’’ pour le premier et publication de caricatures sur le prophète et ses femmes pour le second.

Or, comme le disait Youssef Chahine, le grand réalisateur égyptien, engagé dans le combat du fanatisme: «Un des moyens d’extirper la frustration est sans doute la dérision».

Un précédent lourd de significations

Le contexte que traverse le pays ne justifie-t-il pas la frustration des jeunes qui ont le sentiment que la révolution sociale et les aspirations à la liberté et le progrès sont détournées à des fins islamo-politiques? Les écrits de ces deux jeunes sur la religion ne méritaient pas, à notre sens, la peine de prison, pour choquantes et provocatrices que soient les publications.

La condamnation de ces deux jeunes pour ces faits est une sérieuse remise en cause de la liberté d’expression, acquise par les Tunisiens acteurs de la révolution du 14 janvier 2011 et chèrement payée.

Elle porte atteinte à cette liberté dont la garantie fait partie de vos engagements et promesses lors de votre alliance avec les islamistes d’Ennahdha au lendemain des élections du 23 octobre 2011.

De l’«atteinte à la sûreté de l’Etat» à l’«atteinte au sacré»

C’est un précédent lourd de significations, car la Tunisie n’a jamais connu de tels procès depuis l’indépendance avant l’installation – pourtant provisoire – au  pouvoir de la coalition actuelle.

Les condamnations pour «atteinte au sacré» se substituent-elles désormais aux peines de prison jadis utilisées par l’ancien régime pour «atteinte à la sûreté de l’Etat»? Les peines (7 ans et demi de prison) prononcées à l’encontre de Ghazi Beji et Jaber Mejri sont en effet, sans commune mesure avec les délits reprochés et les sanctions prévues par le code pénal.

Vous comprendrez, donc, monsieur le président de la république, nous l’espérons, notre désarroi et notre inquiétude car sans la liberté d’expression et sans justice indépendante, notre révolution ne serait que du gâchis.

Monsieur le président,

Jusqu’au 15 janvier, vous étiez vous même réfugié en France parce que le système Ben Ali ne permettait pas la liberté d’expression et les esprits libres n’avaient pas la liberté de circulation dans le pays. Vous étiez, ainsi, obligé de vivre en exil parce que vous refusiez le conformisme politique qui dominait la Tunisie. Nous comprenons mal votre silence face à la condamnation à de lourdes peines de ceux qui refusaient le conformisme religieux dans la société Tunisienne.

Avec votre parcours, avec vos écrits, vos combats et votre profil de démocrate et moderniste, nous avons pensé que votre élection par l’Assemblée nationale constituante (Anc) à la présidence de la république, annonçait une exemplarité à l’échelle mondiale de la Tunisie en matière de garantie et de défense des libertés publiques et privées, de droits de l’Homme et d’encouragement de la créativité et de la production littéraire et artistique.

Des craintes qui ne cessent de grandir

Neuf mois après votre investiture, les constats ne sont guère encourageants et nos craintes ne cessent de grandir.

Nous espérons, toujours, que vous n’avez pas renié les principes fondateurs de votre combat et vos engagement envers vos compagnons de l’opposition démocratique de l’ère Ben Ali: les militants des droits de l’homme, les syndicalistes, les intellectuels de gauche et les artistes.

Ni à l’occasion de l’agression des militants des droits de l’Homme le 9 avril ni suite au soulèvement des salafistes contre les artistes de l’espace Abdellia, nous n’avons entendu une parole présidentielle claire de défense des droits fondamentaux ni de condamnation des salafistes et autres ennemis de la liberté de culte et d’expression, vous comprendrez que cela nous inquiète!

Monsieur le président,

A l’occasion de la fête de la république, un des acquis du peuple tunisien, nous osons espérer un geste de grâce des deux jeunes Ghazi Beji et Jaber Mejri qui avaient eu le tort de s’exprimer librement. Ce geste serait fort en faveur de la liberté d’expression. Votre grâce présidentielle est l’ultime recours dans l’attente de l’établissement d’une véritable justice indépendante. Un tel geste présidentiel marquera sans doute une des lignes rouges que nous devons tous ensemble veiller à ne pas franchir dans la Tunisie que nous voulons construire ensemble, la Tunisie de la liberté de la dignité et de la démocratie.

* La pétition, qui circule encore sur le web, a été signée à ce jour par près de 500 personnalités tunisiennes et étrangères.

* Les intertitres sont de la rédaction.

Pour signer la pétition.