Les bourdes et déboires qui se succèdent, en un temps aussi court, indiquent nettement que le gouvernement de la «troïka» voit sa crédibilité s’effilocher et son assurance sérieusement bousculée.

Par Moncef Dhambri*


Les masques tombent un et un. Et les bras nous en tombent aussi, à chaque fois, devant la tragi-comédie gouvernementale de la «troïka» qui, par son obsessionnelle quête du pouvoir, déroule sous nos yeux les scénarios les plus tristes et les plus cocasses.

Entretemps, le navire de la Tunisie révolutionnaire prend l’eau de toutes parts et l’équipage nahdhaoui continue de chanter à tue-tête son «tout va très bien, madame la marquise».

Le ministre des Finances Houcine Dimassi, ne supportant plus la supercherie de ceux qui veulent faire croire aux Tunisiens qu’ils gouvernent pour réaliser les objectifs de la révolution du 14 janvier, a choisi de se jeter à l’eau et de lancer une bouteille à la mer dans laquelle son message SOS explique certaines des raisons du naufrage du paquebot Tunisie.

Nous avons retenu trois ou quatre motifs de M. Dimassi, par souci de synthèse et de clarté: il y a dans ce coup de gueule du ministre des Finances démissionnaire, le manque de concertation et de coordination, l’électoralisme et populisme des compensations qui seront payées aux bénéficiaires de l’amnistie générale et l’esprit et la manière avec lesquels Mustapha Kamel Nabli a été remercié de son poste de gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (Bct).

Unanimisme imposé et marche forcée

M. Dimassi lève ainsi les derniers doutes. Il dit clairement et sans ambages que la coalition tripartite qui gouverne la deuxième étape de la transition démocratique dans notre pays se joue de la révolution pour servir ses intérêts politiciens.

L’on pouvait admettre, jusqu’à une certaine limite raisonnable, que la compétence vienne à manquer aux membres de la «troïka», l’on pouvait accepter aussi que ces hommes et ces femmes de la coalition fassent quelques petits faux pas ou qu’ils puissent même se fourvoyer quelque peu. L’on appliquerait volontiers à ces gens-là, sortis hier seulement de l’exil et de la clandestinité que leur a infligés la dictature de Ben Ali, la sage observation que «la démocratie reste un apprentissage de tous les jours».

Or, dans le cas du Premier ministre Hamadi Jebali et de l’équipe qui l’entoure, cette magnanimité ne peut malheureusement pas être appliquée. Car, au bout du parcours gouvernemental de la coalition tripartite que le peuple a intronisée au lendemain du 23 octobre dernier, nous découvrons que sa cohésion vénérée et son consensus sacré n’étaient en réalité qu’unanimisme imposé et marche forcée.

Il importe peu, pour l’instant, de savoir qui donne les ordres. L’on retiendra simplement qu’il s’agit d’un esprit dirigiste qui ne tolère aucune voix discordante ou quiconque s’évertuerait à s’attaquer à la démagogie ou au clientélisme nahdhaouis.

Simplifions encore plus. Ennahdha et ses partenaires de la «troïka» ont eu le pouvoir et souhaitent le garder. Une année et demie de gouvernement ne suffisant pas; ils souhaitent une prolongation de quatre ou cinq autres années. Pour asseoir encore plus leur mainmise, un autre mandat plus long et une autre «légitimation électorale» seraient nécessaires. Il s’agit d’une simple affaire de gain de temps, de passage de gué jusqu’au rendez-vous législatif du printemps prochain.

Dans ce jeu-là, évidemment, l’insoumission d’un gouverneur de la Bct qui défend l’indépendance de la première institution financière du pays et l’insubordination d’un ministre des Finances qui met en garde contre une politique monétaire mal inspirée n’ont pas place.

Du coup, le premier est congédié avec une inélégance qui ne sied guère à notre pays porte-drapeau du Printemps arabe, et le second est obligé de choisir lui-même de quitter la partie avant qu’on le lui signifie par voie postale, lors du remaniement ministériel très proche.

Houcine Dimassi - Hamadi Jebali: la mésentente était cordiale.

Dans ce jeu-là, également, les sonnettes d’alarme des agences de notation internationales et la frilosité des investisseurs nationaux et étrangers importent peu aux yeux de ceux qui nous gouvernent. Ces avertissements sont des attitudes «négatives» et deviennent vite «impérialisme», «obstructionnisme», «jalousie» et «atteinte à la souveraineté et à l’indépendance de nos choix révolutionnaires», pour ne citer que quelques unes des réponses que le gouvernement intérimaire jette à la face de la réalité et des observateurs tunisiens ou autres qui contredisent ses options, ses calculs…

La légitimité se donne et se reprend

Circulez, il n’y a rien à voir, nous dit-on.

Ennahdha, Hamadi Jebali et, très certainement aussi, Rached Ghannouchi, souhaitent tourner leur séquence transitoire à huis-clos, juste pour atteindre le rendez-vous des prochaines législatives et arracher un deuxième blanc-seing, une seconde légitimation électorale.

Non, mille fois non, la légitimité qu’un vote accorde se mérite de bout en bout d’un mandat. Cette confiance est donnée sincèrement, innocemment et peut-être gratuitement. Elle peut aussi être retirée à tout moment.

Le ministre chargé de la Réforme administrative et secrétaire général du Congrès pour la république (CpR), Mohamed Abbou, il y a moins d’un mois, a claqué la porte et s’en est allé. Hier, une autre grosse pointure du gouvernement Jebali, Houcine Dimassi jette l’éponge. Nous ne citons là que les récentes fissures de la façade de la «troïka». Ces deux démissions spectaculaires, en un temps aussi court, indiquent nettement que le gouvernement voit sa crédibilité s’effilocher et son assurance sérieusement bousculée.

Les âmes sensibles ont le droit de craindre que, dans une étape prochaine, face à ses déboires actuels et sa faillite totale très inévitable, Ennahdha ne soit tentée d’abandonner sa «modération» et qu’elle révèle à ceux qui gardaient jusqu’ici quelques illusions sur son compte la véritable nature de son dessein «islamo-démocrate».

* Journaliste et enseignant universitaire.