L’auteur, ancien détenu politique, qui a passé plusieurs années en prison, dit à ses anciens codétenus islamistes, qui veulent aujourd’hui être indemnisés: «La mémoire de nos batailles contre la tyrannie n’est pas à vendre».

Par Néjib Baccouchi*


La question des indemnisations financières au profit des anciens détenus politiques est à nouveau en débat sur la place publique. La polémique opposant les pour et les  contre  ne cesse d’enfler jour après jour pour prendre un relief particulier suite aux déclarations retentissantes du ministre des Finances démissionnaire Houcine Dimassi, affirmant que le gouvernement a consacré une ligne budgétaire colossale au titre des dédommagements des personnes ayant bénéficié des mesures d’amnistie générale arrêtée après la révolution.

Le peuple tunisien n’a pas à payer la note

Je voudrais à cette occasion, et en ma qualité d’ancien détenu d’opinion, mettre au clair certaines choses. Quand j’ai choisi le chemin du combat et du sacrifice, je n’imaginais pas, fusse une seule seconde, que celui-ci était pavé de roses, ou que j’accomplissais une mission dont le prix en monnaie sonnantes et trébuchantes sera tôt ou tard réglé par le peuple.

Lorsque j’ai décidé de lutter pour défendre les valeurs de la liberté, de la démocratie et de l’égalité, je n’ai pas consulté l’avis du peuple tunisien, lequel ne m’a d’ailleurs jamais chargé de quoi que ce soit. Comment oserais-je alors le sommer aujourd’hui de régler la note, et de s’acquitter d’une dette qu’il n’a pas contractée envers moi?

La grande leçon que j’ai retenue de l’exemple des figures emblématiques, qui se sont sacrifiées pour un idéal tout au long de l’histoire humaine, est que l’engagement est le résultat, avant toute autre considération, d’un choix personnel et d’une conviction intime; que la patrie ne paye pas le prix de l’amour et de la passion qu’on lui voue. Imaginez un instant qu’un homme comme Nelson Mandela demande aux Sud-Africains de le dédommager pour les sacrifices consentis dans son combat contre l’Apartheid, ou que le Mahatma Gandhi exige un prix pour avoir œuvré sa vie durant pour la libération de l’Inde!!!

La mémoire ne se vend pas, même au prix d’or

En conséquence de quoi, j’ai pris la décision de ne pas vous vendre ma mémoire, même au prix de l’or du monde entier, car elle ne m’appartient pas exclusivement; je n’en suis au fond qu’une particule. Une infime particule de la mémoire de générations successives de combattants qui, en défense de leurs convictions, se trouvèrent à un moment ou un autre de leur vie derrière les barreaux.

Je dis aux détenus islamistes avec qui j’ai passé des années dans les geôles de Ben Ali: ce peuple qui vous a arraché à la froidure et à l’obscurité des cellules, ce peuple qui vous a ramenés de l’exil et vous a rendu votre dignité outragée, ne mérite pas, dans les conditions difficiles qu’il traverse, pareille ingratitude.

La première question que doit se poser tout militant sincère et authentique, le matin au réveil est: qu’est-ce que je pourrais donner aujourd’hui à la Tunisie et non : qu’est ce que je pourrais lui prendre?

* Ancien détenu d’opinion

Traduit de l’arabe par Abdelatif Ben Salem

Article du même auteur dans Kapitalis :

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