Le télescopage des images du dîner d'iftar d'Ennahdha à l'hôtel Golden Tulip et de la répression violente, le lendemain, des manifestants à Sidi Bouzid réclamant l’eau courante montre que le parti au pouvoir ne comprend la souffrance sociale qui gangrène le pays.
Par Benoït Delmas
Le mercredi 8 août, le parti islamiste Ennahdha avait convié 1.200 invités à l’Hôtel Golden Tulip pour un dîner de l’iftar, la rupture du jeûne. Des agapes auxquelles participaient ambassadeurs, hommes d’affaires, invités étrangers, qataris…
Le parti au pouvoir a commis à la fois une faute politique et morale. Voir cet aréopage de gens aisés se réunir dans l’un des cinq étoiles de Gammarth a de quoi étonner. En ce mois de ramadan, la simplicité est de mise. Chacun se doit de penser aux nécessiteux, à ceux qui n’ont presque rien, qui jeûnent malgré eux toute l’année. D’où un certain embarras à l’égard de ce dîner organisé et payé par Ennahdha dans un endroit chic et cher. On peut y boire de l’alcool durant ramadan.
Que peut penser le peuple en regardant les images de cet iftar tape-à-l’œil? Qu’on se moque de lui? Que Ben Ali, lui, invitait au Palais de Carthage des nécessiteux rompre le jeûne avec lui? Qu’on dépense près de 80.000 dinars en quelques heures pour les relations publiques du parti?
Ironie de l’anecdote, le lendemain matin une manifestation était réprimée à Sidi Bouzid alors que les gens réclamaient l’eau courante. D’un côté, le parti au pouvoir célèbre à grands frais – cf. facture du Golden Tulip adressé à Ennahdha – l’iftar, de l’autre le petit peuple réclame à grands cris le strict minimum vital.
Le télescopage des images, Golden Tulip vs. Sidi Bouzid, donne l’impression que le parti majoritaire du gouvernement ne comprend ni la nature de la révolution ni la souffrance sociale qui gangrène le pays. Cet étalage de diplomates, de dignitaires, ainsi que les discours politiques qui suivirent, sont une faute politique de la part d’un parti dont la plupart des militants sont des gens simples. Ce qui fait dire aux salafistes qu’Ennahdha a pris goût au pouvoir, à ses fastes. Et ainsi de recruter les déçus du parti de Rached Ghannouchi.
Politiquement, il sera difficile de digérer ce dîner.