Ceux qui s’attendaient ce qu’Ettakatol et le CpR ouvrent, grâce à leur alliance gouvernementale avec Ennahdha, d’exemplaires perspectives démocratiques en Tunisie, doivent chercher aujourd’hui une nouvelle voie de sortie.
Par Slim Ben Romdhane
Presque une année s’est écoulée depuis la formation de cette alliance, et nous constatons, au sein du parti d’Ennahda et ses élites, une volonté affichée de noyauter l’Etat et d’islamiser l’espace social et culturel tunisien.
Nous relevons une entreprise discrète puis assumée de conquête de tous les pouvoirs. Le gouvernement, la constituante, la majorité des gouvernorats et des municipalités, les médias publics, les grands corps de l’Etat, la Banque centrale, l’autorité judiciaire, les entreprises publiques… sont contrôlées par ce parti devenu hégémonique.
Le vent mauvais de la dictature
Pour les républicains et l’ensemble des démocrates, qui ont initié la révolution, un problème de contrepouvoir se pose. Les contrepoids politiques, institutionnels, législatifs et médiatiques, nécessaires à l’équilibre des pouvoirs au service d’une démocratie vivante, en sont complétement absents autorisant dès lors, toutes les dérives et dérapages actuels.
D’ailleurs, personne n’est sourd ni aveugle et de plus en plus de Tunisiens entendent le vent mauvais de la dictature drapé dans les pseudo-vertus de nouvelles valeurs religieuses. Un vent renforcé par des partis coalisés portés par des dirigeants et ministres politicards naïfs et incapables de résister à l’arrogance nahdaouie, de dénoncer l’infiltration des institutions et des rouages de l’Etat ainsi que les multiples atteintes aux libertés fondamentales. Les dirigeants de ces deux partis ont été incapables de défendre un état respectable et respecté garant des fonctions régaliennes, des droits fondamentaux et solidaires avec les plus défavorisés. En fait, loin de bâtir un contrepouvoir à l’hégémonie débordante de l’Etat Ennahda et de fournir des réponses concrètes pour freiner ce fléau, ils se présentent comme une sorte de pragmatiques opportunistes, prêts à tous les silences, toutes les complaisances et autres capitulation, du moment que cela peut les maintenir dans l’échelle illusoire et provisoire du pouvoir. Ils ont ouvert large et sans compter les bras républicains à l’islamisme politique en allant plus loin dans l’alliance aveugle qu’aucun responsable républicain ou démocrate avant eux.
Ceci procède d’une stratégie politique inacceptable sur le plan moral, irresponsable, et bien mal inspirée au regard de la révolution tunisienne. Elle a coûté cher au processus démocratique tunisien et s’apparente pour de nombreux tunisiens à une trahison sinon une capitulation idéologique et politique.
Les quatre urgences
Est-ce pour autant qu’on ne puisse rien faire et sinon, quelles solution pour gagner en mars 2013 ? Il faut d’abord que l’ensemble des tunisiens républicains et démocrates de toutes sensibilités politiques le décident et qu’ils en fassent un enjeu politique d’avenir avec quatre urgences:
1. se lever ensemble sans calculs ni ambitions politiques, pour lancer en urgence un front républicain pour résister aux forces de l’obscurantisme officiel ou complice et assurer une transition politique consensuelle avec une seule liste gagnante d’union nationale. Un front de la raison composé de toutes les forces vives de la nation : des destouriens aux démocrates de gauche, des déçus d’Ennahda, du CRP, d’Ettakatol aux militants sincères abusés par l’ancien système. Un front composé de musulmans, laïques, syndicalistes, femmes et tous les tunisiens soucieux de défendre la liberté d’expression, la justice sociale et d’accepter l’alternance du pouvoir;
2. comprendre la destination du vote des catégories populaires. Et c’est là que le front républicain notamment dans sa composante libérale a un rôle crucial à jouer, en étant notamment à l’écoute des tunisiens des classes populaires les plus durement touchées par la crise économique et l’injustice sociale dont un grand nombre d’entre eux n’ont même pas accès à l’électricité et à l’eau potable, encore moins aux réseaux sociaux et autres facebook. D’ailleurs, c’est pour cela que ces tunisiens exclus se sont sentis autorisés à voter pour Ennahda et les partis salafistes, devenus des partis respectables et centraux du récit politico-médiatique. La réputation radicale et rigoriste de ces partis a séduit tout particulièrement ces tunisiens qui n’ont plus rien à perdre et qui cherchent à exprimer la haine d’une société qui ne leur fait pas de place. Ce fort besoin de solidarité, de partage et de protection devra être pris très au sérieux et intégré dans le projet politique du front républicain. Si ce n’était pas le cas, les conséquences pourraient être terribles en 2013. Là, les bons esprits démocrates qui hurlent depuis une année au fascisme salafiste tout en ignorant la fracture sociale et les injustices multiples, auront une bonne raison de s’alarmer. Même s’il sera alors trop tard;
3. reprendre la bataille des idées et promouvoir une nouvelle façon de faire la politique en acceptant le combat des idées et le débat contradictoire pour attirer les tunisiens déçus par le gouvernement dominé par Ennahda. En premier lieu contester pied à pied la victoire idéologique d’Ennahda en montrant que ce parti ne peut plus être le contrepouvoir du pauvre et des opprimés, l’arme des faibles et des exclus quand il prône dans le même temps un système économique néolibérale, réactionnaire caractérisé par la domination des riches sur les pauvres. Il ne peut prétendre à la posture du parti des travailleurs quand il prône une politique économique de bazar ouverte aux intérêts du capital financier mondial favorisant à terme la destruction de la production nationale au profit des marchés rentiers;
4. accompagner la société civile en mouvement en favorisant des initiatives de contestation comme celle des Marsois pour s’opposer au projet immobilier du stade Chattoui. La société civile est une force politique potentiellement réactive contre le doute et le défaitisme ambiant aujourd’hui. Elle ne demande qu’à soutenir les démocrates, les réformateurs et tous les républicains, s’ils le lui demandent. C’est le seul espace de survie de la démocratie, car elle rassemble des gens qui critiquent, les gens qui s’interrogent, qui doutent, des citoyens responsables. C’est le monde de la solidarité contre celui de l’opportunisme et de l’aventure politique. C’est pour cela que les tunisiens déçus par Ennahdha et l’égoïsme de certains partis démocrates doivent s’organiser dans la résistance et l’opposition citoyenne.
C’est bien de cela dont il s’agit plus que jamais aujourd’hui. Des femmes et des hommes, des militants de tous les partis républicains mettent en commun leurs forces créatrices dans un front républicain le plus large possible pour renforcer la lutte et la résistance contre les forces de la réaction et de la régression et proposer une remise en mouvement de la société tunisienne afin de promouvoir un possible et solide vivre ensemble.