altQu’est-ce qu’être un acteur majeur de la grande distribution lorsque l’on n’accepte pas un moyen légal de paiement, ou alors sous conditions, que l’on n’affiche même  pas?

Par Mohamed Maknine*


Nous sommes en 2012. Dans certains pays dits développés, la dématérialisation de la monnaie et des transactions a atteint un degré très avancé. L’on peut ainsi acheter une voiture de luxe, ou un vulgaire paquet de chewing-gum en payant avec sa carte bancaire.

Dans d’autres pays tels que les Etats-Unis d’Amérique, ce système a même été poussé plus loin, à tel point que payer en liquide peut paraître suspect (hôtels, restaurants, etc.) et que celui qui ne possède pas de carte bancaire a forcément quelque chose à se reprocher.

Toujours quelque chose qui va de travers

Dans notre beau pays par contre, comme disent les Anglo-saxons, «cash is king» (le cash est roi). Il est bien connu que les commerçants préfèrent les espèces aux chèques, et ces derniers aux cartes bancaires. Il y a toujours quelque chose qui va de travers (réseau défaillant, transactions refusées, terminal de payement électronique ou Tpe en panne, etc.) et, en plus, il leur faut reverser une commission sur chaque transaction.

Mais s’il faut savoir raison garder et ne pas attendre de l’épicier du coin qu’il prenne votre carte bancaire et la glisse dans un Tpe (qu’il ne possède pas) pour vous vendre une baguette, on pourrait s’attendre des grandes surfaces de notre beau pays qu’elles le fassent.

Mon banquier, en me remettant ma première carte bancaire, il y a de cela quelques années, m’avait indiqué avec fierté que ce bijou de technologie était un moyen de paiement non seulement sécurisé, mais qui plus est légal. «Légal» veut dire, dans mon esprit de non-juriste, que les commerçants sont tenus de l’accepter en règlement, sans limite, barrière ou autre «pirouette» de ce genre.

D’«Intersection» à «Prolo maigre»

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Cash is king

Or, voici ce qui peut encore arriver un mercredi 15 août 2012 (au 21e siècle donc), à Sousse. Je me rends avec mon épouse au supermarché «Intersection» (appelons-le ainsi pour éviter la publicité et les procès) pour effectuer quelques courses. Paiement par carte bancaire sans aucun problème pour une facture d’environ 25 dinars.

Arrivés à la maison, comme d’habitude, j’ai oublié d’acheter des tomates, un paquet de pâtes et quelques autres babioles. Par paresse, je décide de me rendre au supermarché concurrent, «Prolo maigre» (encore un pseudonyme) qui est plus proche. Mes courses faites, je me présente à la caisse, fais l’impasse sur le bonjour inexistant et le sourire pâle de la caissière (bon, c’est Ramadan), réponds comme d’ordinaire par la négative à la question rituelle «3andek carte fidélité ya Msieu?» (Avez-vous une carte de fidélité monsieur?) et attrape un sac en plastique pour emporter mes achats. Elle m’annonce le montant (cinq dinars et quelque) et je réponds «par carte».

Passons sur le regard venimeux: toutes les caisses du «Prolo maigre» de Sahloul ne sont pas forcément équipées de Tpe et, manque de chance, sa caisse est de celles-ci. Je vais l’obliger à se lever.

C’est alors que, dans un éclair de génie survenant après plusieurs secondes de laborieuse réflexion, elle trouve la parade: «Ya Msieu, ken bil carta minimum 3achra léf» (Avec la carte, cela fera au minimum 10 dinars). Sublime, j’applaudis le geste technique ponctué d’une «pirouette». En compétition officielle, le juge russe lui-même lui aurait mis 4.9.

C’est comme ça dans tout le pays?

N’ayant rien de mieux à faire avant le crépuscule, je décide tout de même de livrer bataille et ce, d’autant que je n’ai pas sur moi d’espèces ou de chéquier (puisque j’ai une carte bancaire et que mon banquier, en me remettant, etc.). Je lui demande où il est précisé que cette règle est en application dans leur magasin (puisque seule est précisée la mention relative au nombre des pièces d’identité exigées selon le montant du chèque). Elle me répond tranquillement que c’est comme ça dans tout le pays, ce qui fait que je me sens en plus comme un débile. Comment puis-je ignorer cela alors que c’est en application dans tous les commerces du pays, de Bizerte à Borj el Khadhra? Mais de quel désert sors-je?

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Mohamed MAKNINE

Devant la mine atterrée des personnes qui me suivent dans la file d’attente (et qui doivent alors se maudire d’avoir encore une fois choisi la mauvaise caisse), je décide d’en rester là et de m’en aller. La caissière appelle son responsable pour annuler une vente; on lui posera probablement une question ou deux à ce sujet, mais il vaut mieux manquer une vente que de contrevenir à une règle interne, non?

Résultat des courses : je suis retourné chez «Intersection», où l’on accepte les règlements par carte sans plafond, ni plancher. Est-ce par intelligence commerciale ou simplement par respect de la loi?

Je sais bien que ce ne sont pas mes cinq malheureux dinars de course qui vont peser dans les états financiers du groupe qui possède «Prolo maigre». Je sais que ce n’est pas ça qui empêchera leurs dirigeants de dormir, ni de payer les salaires, les primes, les moutons de l’Aïd à leurs employés et les dividendes à leurs actionnaires. Mais je souhaite qu’ils lisent ces quelques réflexions et se posent des questions sur ce que c’est que d’être un acteur majeur de la grande distribution lorsque l’on n’accepte pas un moyen légal de paiement, ou alors sous conditions, que l’on n’affiche d’ailleurs pas.

J’ai, pour ma part, à présent, les plus grandes appréhensions à aller au «magasin colonel» ou autres enseignes du groupe de peur que ce genre de mésaventure ne m’arrive de nouveau.

Ou alors vais-je m’adapter pour survivre et prêter allégeance au roi «Cash» qui règne encore sur notre pays.

* Assistant-directeur Ventes & Marketing dans une grande chaîne d’hôtels.