Pour élaborer ces modèles spécifiques et complémentaires, des réflexions approfondies sont nécessaires qui utilisent des approches territoriales et participatives intégrant tous les acteurs au niveau local.
Par Rym Ben Zid*
Des mouvements sociaux éclatent de manière récurrente, notamment, dans les régions de l’intérieur du pays où a éclos la révolution: Kasserine, Sidi Bou Zid, El Kef, Siliana…
La plupart de ces mouvements sont alimentés par une situation économique dégradée caractérisée par le chômage, le sous-emploi, les revenus peu élevés, en résumé par l’absence de moyens d’existence garantissant des conditions de vie décentes et dignes.
Des réflexions éparses, souvent partielles et incomplètes, ont été menées par des chercheurs, experts et journalistes sur les solutions à apporter au chômage et au sous-emploi dans les régions de l’intérieur du pays. Souvent ces réflexions n’ont concerné que des secteurs ou sous-secteurs alors que les enjeux sont à considérer dans une perspective plus large.
Un modèle de développement tournant le dos à l'arrière-pays
Le manque d’accès aux richesses nationales induit par une distribution inégale des revenus de l’Etat et l’absence de mécanismes locaux de création d’emplois dans les régions de l’intérieur du pays ont conduit à la révolution du 17 décembre 2010-14 janvier 2011.
Des réflexions stratégiques globales analysant l’économie dans son ensemble en caractérisant les secteurs (agriculture, services, industrie…), leurs interrelations et interactions ainsi qu’une analyse géographique de la distribution et des modalités d’allocation des richesses dans les régions et au niveau local ont manqué. Etaient absentes, également, des réflexions approfondies sur les effets à court terme et à long terme de la libéralisation et de l’ouverture de certains secteurs ainsi que ceux des conditions données par les partenaires techniques et financiers lors de la négociation des opérations d’aide au développement.
Compte tenu des ressources naturelles limitées et de la manière dont notre économie est insérée dans l’économie mondiale par le biais de la mise en œuvre des politiques tournées vers l’exportation, l’Etat tunisien a mis en place un modèle de développement économique dont l’élément de base était la compétitivité économique de la main d’œuvre non ou peu qualifiée, rémunérée à bas prix. Cette main d’œuvre était localisée dans les zones côtières à forte concentration de population, où ont été développées au fil des plans quinquennaux toutes les conditions nécessaires pour la mise en place d’un tel modèle (infrastructures, transport, services Bancaires, création de zones industrielles, zones franches, centres de formation…).
Des tentatives timides de mise en place de telles conditions dans les régions de l’intérieur ont été réalisées, par exemple par la création de zones industrielles dans un certain nombre de villes (comme à Béja), mais sans réel succès. Les raisons apparentes du manque d’intérêt des grands investisseurs pour la création d’ateliers ou usines dans ces régions malgré les avantages dont ils disposent sont le manque de main-d’œuvre qualifiée et leur éloignement des grands ports côtiers et des centres de décision.
Cependant, il existe d’autres raisons expliquant l’échec de ces initiatives: l’activité économique principale dans ces régions est l’agriculture qui structure et organise, différemment, les sociétés locales.
Les zones rurales en Tunisie sont livrées au chômage et la pauvreté.
Le constat de départ à établir avant d’envisager toute action ou programme de développement dont l’objectif est de créer des emplois est de caractériser l’activité économique prédominante dans une région donnée, en identifiant les savoir-faire y afférents. L’investissement à réaliser dans ces régions diffère des types d’investissements à réaliser dans les zones côtières à forte densité démographique, où toutes les conditions de réussite des entreprises sont réunies.
Contribution des collectivités locales et des opérateurs privés
Il n’existe pas un seul modèle de développement à appliquer à toutes les régions en Tunisie mais des modèles de développement différenciés et complémentaires adaptés aux caractéristiques de chacune d’entre elles. La conception de tels modèles nécessite des réflexions approfondies utilisant des approches territoriales et participatives intégrant tous les acteurs au niveau local.
Des mécanismes de mobilisation de ressources locales sont à envisager ainsi qu’un modèle de gestion assorti de règles de bonne gouvernance.
Les collectivités locales devraient gérer ces fonds et décider des priorités à établir en ce qui concerne les projets d’intérêt public d’infrastructure ou relatifs à l’éducation, et ceci avec la participation de toutes les parties prenantes… De la même manière, les collectivités locales devraient pouvoir financer des projets individuels, créateurs d’emploi, à partir de ces fonds et ceci après les avoir priorisés.
Des prémisses de pratiques de gouvernance locale, mise en œuvre par les groupes sociaux existants, sont apparues, récemment, à Metlaoui/Redeyef car les municipalités font défaut, bien que la mobilisation des fonds pour financer les services aux citoyens reste une contrainte.
Le principe de base d’un tel modèle économique est l’initiative privée; il est illusoire de croire que l’Etat sera en mesure de créer des centaines de milliers d’emplois mais les conditions nécessaires à la mise en place de mécanismes locaux de mobilisation des ressources, d’investissement et de gouvernance locale restent de son ressort.
Il existe dans certaines régions de Tunisie, et notamment à Sfax, un vivier de petits entrepreneurs qui détiennent un savoir-faire en termes de création d’entreprise, de recherche de marchés (y compris intérieurs) à exploiter; ces entrepreneurs entretiennent des rapports sociaux de production et d’échange ténus. Ce savoir-faire est à transposer dans d’autres régions, tout en l’adaptant aux caractéristiques locales car la création d’entreprise et le développement de l’initiative privée passent, principalement, par la formation; les Tunisiens, dans cette période post révolutionnaire, où les ressources sont limitées, devraient penser à identifier les pôles de réussite, les savoirs-faire locaux existants et les utiliser pour construire la Tunisie nouvelle. Cela déboucherait sur des coopérations et des échanges concrets entre les régions qui ne feront que renforcer la cohésion nationale.
* Consultante en développement agricole.
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