Lettre ouverte signée par des Tunisien(ne)s résidant à l’étranger adressée aux responsables de la «troïka» et à tous les partis et mouvements politiques en Tunisie: «Pour un large consensus républicain bannissant la violence».
La Tunisie vient, à nouveau, de se trouver confrontée à un cycle de violences de la part de groupes présumés salafistes. Ces violences ont pris pour cible non seulement la liberté d’expression et de création culturelle et artistique mais elles ont également visé des tunisien(ne)s musulman(e)s qui avaient «le tort», à leurs yeux, de pratiquer un islam différent du leur.
Ce n’est pas la première fois que de tels groupes et mouvements se réclamant du salafisme s’en prennent ainsi aux symboles de la Tunisie diverse, tolérante et ouverte sur le monde. Cela n’est pas sans nous rappeler les slogans et les actes indignes lancés à maintes reprises contre les communautés juives ou chrétiennes de Tunisie bafouant ainsi la liberté de croyance.
Garantir le «vivre ensemble» dans cette nouvelle Tunisie
L’un des premiers et grands mérites de la révolution tunisienne a été de libérer la parole dans tout le pays en faisant voler en éclats la chape de plomb imposée par des décennies de dictature du parti unique et de la pensée unique. La liberté d’expression, de création, de pensée… constituait – à côté de la dignité, de la démocratie et de la justice sociale – l’une des aspirations les plus immédiates et essentielles de l’insurrection populaire de 2010-2011, comme d’ailleurs de celle du Bassin minier deux ans plus tôt.
Un début de concrétisation de ces aspirations s’est traduit par les premières élections démocratiques d’octobre 2011. Les instances, légitimées par les élections (Assemblée nationale constituante et exécutif), se devaient d’agir pour donner au pays les institutions stables et pérennes qui puissent garantir, dans la durée, le «vivre ensemble» de cette nouvelle Tunisie.
Et pour ce faire, le consensus entre les différentes forces et expressions politiques, idéologiques et sociales, représentant l’écrasante majorité de l’opinion tunisienne, était indispensable. Non pas un consensus flou et sans principes mais un consensus qui affirme clairement les lignes rouges et les garde-fous à ne pas franchir sauf à porter atteinte à la fois à l’intérêt du pays et à la cohésion nationale et donc par là même aux aspirations de la révolution.
Aussi, incontestablement, les violences comme moyen de régler les différends politiques et celles faites aux femmes, aux intellectuels, aux minorités nationales et contre les luttes sociales constituent-elles l’une de ces lignes rouges à ne pas franchir. Toutes les familles et expressions politiques, élu(e)s, pouvoir exécutif, société civile… doivent y souscrire impérativement et l’affirmer de la manière la plus explicite et sans équivoque. C’est la condition même pour que le «vivre ensemble» puisse exister.
L’Etat n’est un instrument au service d’un parti
L’Etat (tout au moins dans un Etat de droit) est à la fois garant de la paix civile et de la justice sociale. Cet Etat ne peut donc pas se conduire comme un instrument au service d’un parti, d’une famille ou d’une idéologie, comme ce fut le cas sous les régimes précédents. Il se doit aussi de respecter et protéger scrupuleusement les droits individuels.
Les groupes se réclamant du salafisme et qui agissent ouvertement par les moyens violents se placent d’emblée et volontairement hors de ce consensus républicain. Le laxisme dont a fait preuve jusqu'à aujourd'hui l’Etat envers ces actions violentes légitime les soupçons de sa complaisance ou de sa complicité avec ceux qui prônent et pratiquent cette violence de longue date et en toute impunité. Assurer la sécurité et les libertés de chaque Tunisien(ne)s est un des devoirs essentiels d’un Etat démocratique. Il ne s’agit donc pas d’interdire l’expression des opinions mais d’empêcher que des individus puissent agresser d’autres citoyen(ne)s en toute impunité.
En contraste avec cette impunité accordée à ces groupes, nous assistons à une «criminalisation» de tous ceux et toutes celles qui osent émettre des opinions différentes ou se mobiliser pour la défense de leurs droits sociaux et économiques les plus élémentaires.
Nous Tunisien(ne)s résidant à l’étranger dénonçons fermement ces agressions et exprimons notre pleine solidarité avec celles et ceux qui en sont victimes et nous exigeons que le gouvernement tunisien prenne toutes les mesures nécessaires pour poursuivre les coupables et mettre fin à ces violences.
Nous adressons cette lettre ouverte à tous les responsables des mouvements et partis politiques sans exception, aux organisations de la société civile et, par delà, nous nous adressons à chaque Tunisien(ne) et les appelons à se joindre à cet appel afin de constituer le plus large front pour bannir la violence de l’espace public tunisien.
Car ce qui est en jeu c’est la construction d’une Tunisie démocratique pour toutes et tous et surtout pour les générations futures.
Et comme le dit la sagesse amérindienne «cette terre ne nous appartient pas, ce sont nos enfants qui nous la prêtent» à nous de la leur rendre enviable.
Les premiers signataires :
Mohsen Dridi ;
Mouhieddine Cherbib ;
Mohamed Hamrouni ;
Najet Mizouni ;
Tarek Benhiba ;
Khaled Abichou ;
Sophie Bessis ;
Abderrazak Horchani Bouazizi ;
Houcine Bardi ;
Aïda El Amri ;
Besma Othmani ;
Cherif Ferjani ;
Khaled Hmida ;
Hafedh Affes ;
Radhia Hamrouni Pothier ;
Ali Ben Ameur ;
Khanfir Hicham ;
Sarah Fourati ;
Karima Nagati ;
Mouhieddine Abassi ;
Noureddine Senoussi ;
Kamel Ghali ;
Wajdi Limam ;
Amine Hamdi ;
Raoudha Faouel ;
Monem Derbell ;
Houda Zekri ;
Hedi Chenchabi ;
Nadia Tarhouni ;
Taher El Moez ;
Amine El Beji ;
Jalel Matri ;
Fethi Tlili ;
Wahbi Jomaa ;
Sélim Ben Abdesselem ;
Saloua Kammarti ;
Mohamed Ben Said ;
Asma Kouki ;
Abdelwahed Ben Hamida ;
Adnane Ben Youssef ;
Najoua Kharrat ;
Najet Miled ;
Leila Sakka ;
Moncef El Bahri ;
Sophia Ben Sedrine ;
Hichem Abdessamad ;
Chema Triki ;
Annie Novelli ;
Celsio Walid Caracci ;
Mrad El Gadhoumi ;
Fathi Saadallah ;
Mohamed Salah Khemiri.