altDans ce post mis sur sa page facebook, le député d’Ettakatol critique l’hégémonisme d’Ennahdha, les gesticulations du président Marzouki et l’inaction de son parti, devenu un supplétif d’Ennahdha. Intéressant…

Par Sélim Ben Abdesselem


Je pensais, ces derniers jours, écrire un nouveau statut dans lequel je n’aurais pas parlé de moi mais des faits politiques marquants et des problèmes du moment. Je pensais notamment à cette nouvelle agression violente de salafistes à Bizerte contre Jamel Gharbi, élu franco-tunisien de la région Pays-de-la-Loire, quelques jours après celle perpétrée contre des militants associatifs dans cette même ville et l’annulation de manifestations artistiques sous leur pression; des faits très graves qui, à nouveau, posent la question de l’autorité de l’Etat et font apparaître la Tunisie comme un pays «peu sûr» pour les touristes avec les conséquences que l’on sait. Ou l’agression tout aussi violente du cameraman d’Ettounissia, Sélim Trabelsi? Ou les affrontements d’El Hancha (Sfax) sur fond de lutte d’influence entre Ennahdha et ses adversaires pour le contrôle de l’association de développement local? Ou les ordures amassées à proximité des habitations? Ou, la supposée arrestation d’un cadre d’Ennahdha à l’aéroport de Paris-Orly en possession d’une énorme somme en liquide? Ou les liens supposés entre Lotfi Zitoun et Zitouna TV? Ou aussi, la suppression de l’émission politique satirique des « Guignols» dont un ministre nahdhaoui a trouvé qu’elle dépassait le «seuil de tolérance» (comme on aurait pu l’entendre sous l’ancien régime!), suivie d’un mandat de dépôt contre son producteur et directeur d’Ettounissia TV, Samy Fehri dans le cadre d’une procédure en cours (coïncidence frappante si la cause est ailleurs?)! Ou encore le discours du président Marzouki comparant, sans prendre de pincettes, les manœuvres du parti dominant en matière de nominations à celles de ce même ancien régime, avec Ennahdha qui s’indigne (normal !) et la direction d’Ettakatol qui désapprouve cette entorse à la solidarité gouvernementale, alors que cela aurait pu être l’occasion d’aborder publiquement ce problème qui se pose depuis des mois! Bref, les sujets ne manquent pas.

Pour une nouvelle voie centriste sociale-démocrate

Et, avec tout ça, je n’ai toujours pas parlé de moi et de ce qui est sorti ces jours-ci dans la presse concernant mes choix partisans! A vrai dire, même si certains me «pressaient» de réagir publiquement sur un ton parfois moralisateur (ils se reconnaîtront!), je remercie celles et ceux, très nombreux, qui m’ont soutenu, en ajoutant que je ne pense vraiment pas que cette question justifie une telle précipitation par rapport aux sujets cités. Mais vraiment pas. J’estime aussi que personne n’a à réagir sous l’injonction de la presse ou de quiconque.

J’en viens donc à la question qui a agité une partie du «microcosme politico-médiatique», à savoir mon possible départ d’Ettakatol et ma possible adhésion à un nouveau groupe parlementaire visant à représenter une nouvelle voie centriste sociale-démocrate pour combler le vide sidéral existant entre Ennahdha et Nida Tounès. Si la recherche de scoops croustillants fait partie du «jeu-concours constant du journaliste le plus débrouillard», je m’étonne qu’aucune «plume» du média à l’origine de ces propos ne m’ait contacté pour vérifier l’information… Idem pour ceux qui l’ont reprise ensuite… Je m’étonne aussi, au passage, d’avoir été le seul député cité alors qu’est annoncé un nombre assez conséquent de ralliements à ce nouveau groupe, même si d’autres départs et ralliements sont évoqués ailleurs…

Bref, on se croirait parfois plus dans une sorte de «mercato footballistique» que dans une arène politique… Je vous assure d’une chose: je ne jouerai la saison prochaine ni au Réal Madrid, ni à Arsenal! Désolé d’en décevoir certains!

Mais trêve de plaisanteries, revenons à la politique. Et désolé d’avoir usé de votre patience…

«Mes dissensions avec la direction du parti»

Je commencerai par ce qui est une évidence pour celles et ceux qui me suivent : il n’est plus un secret pour personne que mes dissensions avec la direction du parti sous les couleurs duquel j’ai été élu se creusent depuis des mois et je me limiterai aux faits les plus récents. En effet, j’ai dénoncé le non-respect des prérogatives du président de la république lors de l’affaire Baghdadi Mahmoudi suite à laquelle j’ai soutenu la motion de censure. J’ai voté contre le limogeage de l’ancien gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (Bct) et contre la désignation du candidat de la «troïka» à ce poste, j’aurais souhaité que mon parti soit plus offensif qu’il ne l’a été sur la question de l’indépendance administrative et financière de l’instance provisoire de la magistrature, etc... Et il y a eu la démission du ministre des Finances Houcine Dimassi qui n’a pas digéré que la destitution/nomination du gouverneur de la Bct ait été faite sans même le consulter (!) et qui ne pouvait approuver un projet de loi d’Ennahdha visant à indemniser fortement des personnes emprisonnées sous la dictature au risque de porter un coup fatal aux finances publiques déjà dans le rouge et réduire à néant les marges budgétaires pour la lutte contre le chômage et le développement régional! Bravo! J’aurais aimé qu’à cette occasion, M. Ben Jaâfar se prononce clairement contre ce projet sans être poussé à le faire par la démission de M. Dimassi.

Ces derniers jours enfin, je me suis reconnu dans les propos du président Marzouki concernant la tentation hégémonique d’Ennahdha, mais pas dans la solidarité «exemplaire» dont a fait preuve la direction d’Ettakatol vis-à-vis d’Ennahdha, sous prétexte que les discussions au sein de la «troïka» devraient se passer entre quatre murs et non publiquement.

J’aurais toutefois aimé entendre ces mots prononcés par MM. Marzouki et Ben Jaâfar publiquement il y a des mois, comme je l’ai dit dans les médias, lorsqu’Ennahdha a nommé «ses» candidats dans la quasi-totalité des gouvernorats et des délégations sans aucune réaction publique et ferme du Congrès pour la république (CpR) et d’Ettakatol, comme des locataires du Bardo et de Carthage !

Ennahdha pousse ses pions

C’est vrai que, dernièrement, les nominations de quatre gouverneurs non membres d’Ennahdha au CV convaincant ont été entérinées, mais cela arrive peut-être un peu tard après que le parti dominant se soit réservé le gros des postes. Idem pour les nominations dans les médias où la «vraie» mobilisation a été celle de la société civile! Et la liste ne s’arrête pas là, malheureusement…

Que dire enfin de l’impuissance de l’Etat face aux groupes salafistes violents (pour ne pas dire passivité)? Il y aussi de quoi s’inquiéter quand ceux-ci prennent le contrôle de plus en plus de mosquées en s’y imposant (sans réaction de l’Etat !) ou sont admis (sans réaction des partis de la «troïka»!) à dispenser leurs enseignements à Jamâa Ezzitouna, une institution publique dont le rôle est, en principe, de défendre la vision de l’islam tunisien, tolérant et ouvert?

Triste bilan, en effet, soldé par un sentiment de trahison ressenti par bon nombre d’électeurs d’Ettakatol envers lesquels la direction de ce parti n’a jamais jugé utile de retisser les liens! Quelle déception aussi pour celles et ceux qui, comme moi et bien d’autres, ont essayé de réorienter la ligne de ce parti et de le réformer de l’intérieur!

Car la participation d’Ettakatol et du CpR à une coalition avec Ennahdha (que je ne stigmatise pas, soyons bien clairs, mais dont je critique légitimement l’action ou… l’inaction) n’avait de sens que si ce gouvernement agissait dans le seul intérêt du pays sans arrière-pensées partisanes et si ces deux partis minoritaires se montraient forts face au parti dominant, intransigeants sur les principes et prêts à ouvrir une crise gouvernementale et à sortir du gouvernement en cas d’entorse. Or, il n’en a rien été: ces deux partis se sont surtout «distingués» par leur extrême faiblesse, offrant un boulevard à Ennahdha (qui a su en profiter!) et beaucoup de désespoir à bien des Tunisien(ne)s.

Ettakatol n’est plus le rassembleur de la mouvance progressiste

Autre occasion gâchée: Ettakatol, qui aurait pu être «LE» pont entre les partis de la coalition et de l’opposition, a vu ses dirigeants choisir probablement leur camp (sans le dire !) en faveur d’Ennahdha (et dans un rôle de simple satellite supplétif !) avec une poursuite de la troïka au-delà des prochaines élections, en se coupant de tout le reste de la mouvance «progressiste»!

Ma conclusion est qu’il est clair qu’aujourd’hui Ettakatol ne peut plus être le rassembleur de cette mouvance qui a pourtant un besoin urgent de s’unir pour offrir une alternative crédible à celles et ceux qui attendent un autre choix qu’un face à face Ennahdha/Nida Tounès, qui consacrerait cette fameuse bipolarisation résultant de la quasi-disparition de l’influence des partis du centre-gauche… C’est en tout cas ma conviction. Mais je suis aussi convaincu que tout n’est pas perdu et que ces militants et ses électeurs peuvent se rassembler dans un cadre nouveau qui reste à définir, dans lequel toutes celles et ceux qui veulent une Tunisie ouverte, tolérante, juste et avec une vie politique non dominée par le pouvoir de l’argent, auront toute leur place. Il faut donc créer cette alternative et vite!

Enfin, si je fais le choix de ne pas en dire plus aujourd’hui c’est parce que j’ai déjà été un peu long (comme d’habitude, mais c’était nécessaire), mais c’est aussi en vous disant que votre curiosité sera très bientôt satisfaite et vos espoirs politiques aussi, j’espère!

A très vite, alors!

* Les titres et intertitres sont de la rédaction.

 

Article du même auteur dans Kapitalis :

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