Ce à quoi nous avons assisté, hier, n’était pas une manifestation, mais bien une scène de guerre, jouée par des éléments qui n’ont rien de Tunisiens. Qui tire les ficelles de ce théâtre d’ombres?
Par Marceline Lecomte*
Au lendemain de ce «freaking friday» (vendredi anormal), on a tous un peu la gueule de bois. Mais il faut bien le dire : il n’y a plus d’Etat dans l’Etat! Je ne peux effectivement accepter que le ministère de l’Intérieur, qui a, entre autres, le devoir de préserver la sécurité sur l’ensemble du territoire, n’ait pu évaluer les risques d’une manifestation devant l’ambassade américaine, et n’ait pu élaborer une stratégie permettant de protéger un bâtiment encadré par les lois et traités internationaux.
Ce à quoi nous avons assisté, ébahis, n’était pas une manifestation, mais bien une scène de guerre – et aussi, accessoirement, une déclaration de guerre, heureusement limitée à un groupe d’individus qui n’ont pas (ou ne sont pas censés avoir) de poids dans l’Etat. Et c’est, je le dis avec force, INADMISSIBLE.
Si cette scène a pu avoir lieu, c’est parce qu’il y a eu toute une chaîne de complicités. En effet, les précédents en matière de manifestations et de répression policière, y compris sous cette «troïka» (coalition tripartite au pouvoir, Ndlr), sont incontestables, présents dans toutes les mémoires et, a contrario, accusateurs.
Ennahdha et le spectre salafiste
Malgré le peu de respect que j’ai pour le CpR ou Ettakatol, que je considère bassement intéressés par le seul exercice du pouvoir – ou du moins des miettes qu’on leur laisse, c’est Ennahdha, et Ennahdha seul que j’estime responsable de la déliquescence de notre Etat. A force d’avoir voulu, pendant toute cette année écoulée, imposer leur vision de la société et de l’islam au service de leurs personnes et de leur pouvoir, et ce, sans considération aucune pour le mandat qui leur avait été confié par les urnes d’élaborer une nouvelle constitution et de gérer les affaires du pays «de manière courante» (c’est-à-dire au jour le jour, sans engager la Tunisie sur le long terme), les Nahdhaouis ont mené la patrie au gouffre.
Nous, progressistes, avons résisté, jour après jour, affaire après affaire, menace après menace, et quand je dis «nous», je vise bien des individus, des particuliers, qui ont remplacé une opposition politique désorganisée, voire inexistante. Nous, le reste du peuple, par nos manifestations, urbaines et sur le web, avons constitué le contre-pouvoir, nécessaire dans une démocratie.
L’impossible dialogue avec les salafistes
Pour nous faire taire, pour nous faire peur, Ennahdha n’a cessé d’agiter la menace «salafiste», ces gens aux idées venues d’ailleurs, parfois sincères dans leur foi, parfois payés, parfois fraîchement sortis de prison. Après les excès inqualifiables de cette manifestation honteuse, il faut que cela cesse, sans quoi demain, entre nous, nous nous entretuerons.
Entre eux et nous, en effet, aucun dialogue n’est possible: nous ne parlons pas le même langage, nous n’avons pas les mêmes valeurs, nous ne voyons pas le monde de la même façon, aucune des règles qui permettent l’instauration d’une communication n’est satisfaite. Et nous savons bien que seule la violence intervient en l’absence de mots.
Mais il faut aussi réfléchir plus loin, élargir le champ de vision : le monde est un village, et aujourd’hui, le quartier Tunisie est sinistré. Pourquoi en sommes-nous arrivés là?
Nous sommes nombreux à penser que les «révolutions arabes» ont été en partie récupérées, en partie suscitées, qu’il y a une volonté internationale (et je pense américaine surtout) pour que les islamistes s’installent au pouvoir dans toute l’Afrique du Nord et le Proche-Orient: créer une zone de conflit permanente bonne pour les affaires (oui, je sais, c’est cynique, mais c’est de la «realpolitik»), une zone où se recentreraient les terroristes – une arène où ils pourraient s’exterminer entre eux, pensent certains, une zone où, en son centre, les alliés US, Qataris et Saoudiens, protégeraient Israël qui serait alors le fer de lance contre la «menace iranienne».
Nous savons, par ailleurs, qu’il faut attendre que les élections présidentielles aient eu lieu aux USA pour que ce conflit majeur se déclenche – du moins, ce sont là les leçons à tirer de l’histoire, et également de tout ce que l’on peut glaner comme informations dans les actualités.
A qui profite le «crime»?
Par ailleurs, le «film» à l’origine des événements de cette semaine est, indéniablement, une manipulation qui tire toutes les ficelles psychologiques déjà étudiées à propos de musulmans et de populations au «sang chaud», qui agissent sous l’emprise des émotions – pas tous, certes, mais une minorité d’entre eux, suffisante pour être significative sur le plan du symbole.
Alors, à qui profite le «crime», et surtout, dans quel but ?
Ce film, tout comme l’anecdotique fourniture de papiers à en-tête à notre Assemblée nationale constituante (Anc), où l’étoile de notre drapeau a été remplacée par une étoile à 6 branches, manipulation grossière s’il en est, attribuée semblerait-il à une instance de l’Onu, tout cela est trop gros pour être le fait d’associations chrétiennes ou juives quelconques, et porte, à mon avis, la marque de services secrets, soit la Cia, soit le Mossad. Et, à ce niveau, le danger idéologique est extrême.
Il y a tant de questions, jusqu’ici sans réponses…
Phase 1, tout commence en Tunisie, l’Egypte s’enflamme aussitôt, facilement. En Libye, ça se complique, l’Otan intervient. Le Maroc et l’Algérie résistent, les pays subsahariens flambent et ils sont isolés géopolitiquement. De l’autre côté, le Yémen, le martyre de la Syrie, les pays dont on parle moins, Bahreïn ou autres, avec blackout sur la presse.
Phase 2, les manipulations diverses, dont certaines énormes, avec en corollaires, les manifestations et attentats contre les intérêts américains – les pays du Golfe restent eux, encore et toujours épargnés. Conséquences prévisibles? Soit le maintien, renforcé par l’armée, des islamistes au pouvoir, l’arrêt probable du processus démocratique (ni constitution, ni élections), et la nécessaire mise au pas des salafistes… Soit l’installation d’un régime militaire – et dans les deux cas, la création de bases militaires américaines ici en Tunisie, pour contrer l’ingérable Libye, et les récalcitrants nationalistes algériens et marocains. Idem de l’autre côté, sans doute au Yémen.
Phase 3 : que la fête (iranienne) commence…
Et, inch’allah, que Dieu nous vienne en aide.
* Belgo-tunisienne, assistante au ministère de l'Enseignement supérieur.