Plaidoyer pour des essais cliniques transparents et de libre accès en Tunisie, ce qui n’est malheureusement pas encore le cas aujourd’hui. Ce qui laisse craindre des dérapages possibles.
Par Ridha Hamdane*
On parle d’essais cliniques comme d’essais thérapeutiques.
On appelle essai thérapeutique, «l’étude chez l’homme de l’efficacité et de la tolérance d’un nouveau médicament (A) administré soit seul, soit le plus souvent en comparaison avec le médicament considéré comme le plus actif et – ou – le mieux toléré (B) pour le traitement d’une maladie donnée. Cette étude est parfois menée contre placébo» (‘‘Dictionnaire des sciences pharmaceutiques et biologiques’’, éd. Louis Pariente, ouvrage rédigé par l’Académie nationale de pharmacie de France). On ne va pas épiloguer sur la signification du mot placébo, mais disons que c’est la capacité qu’a l’organisme de s’auto-soigner.
Des pays «à bas coûts» pour essais cliniques «délocalisés»
Ces essais sont régis par des lois qui sont, on s’en doute bien, très sévères dans les pays développés et très laxistes dans les pays sous-développés. Je pense que c’est ainsi qu’il faut désormais les qualifier. Pour être politiquement correct, on a banni ce qualificatif et on l’a remplacé par pays en voie de développement; ensuite pour faire encore mieux, on les qualifia de pays pré-émergents.
En Inde, entre 2005 et 2010, 3.300 patients ou plutôt «cobayes» ont suivi des tests cliniques. Parmi eux, 1.800 l’ont été à leur insu. Toutes les études confirment le chiffre de 80 personnes ayant présenté des effets indésirables parmi lesquels on a noté 33 décès liés directement à ces essais. En janvier dernier, douze médecins indiens ont été incriminés et condamnés.
Les patients choisis sont presque tous pauvres et illettrés d’où leur vulnérabilité.
En 2006, plus de la moitié des tests thérapeutiques d’un grand laboratoire que nous ne nommerons pas ont eu lieu hors des marchés occidentaux, avec une préférence pour les pays «à bas coûts» (Bulgarie, Zambie, Brésil, Inde...): on parle désormais de dizaines de milliers d’essais cliniques «délocalisés».
Selon Sébastien Farcis de Rfi, dont nous avons beaucoup emprunté pour la rédaction de cette mise en garde, et d’autres journalistes du journal ‘‘Le Monde’’:
- «Le marché indien des essais thérapeutiques, évalué à 500 millions de d’euros par an, a doublé en trois ans». Isabelle Faure, dans ‘‘Le Figaro’’, avance pour 2010, le chiffre de un milliard de dollars.
- «Plus de la moitié des essais sont réalisés pour les laboratoires étrangers», qui sont de très grands noms de l’industrie pharmaceutique.
- «En 2012, près de 5% des essais cliniques mondiaux devraient être réalisés en Inde».
Julien Bouissou du journal ‘‘Le Monde’’, donne deux précisions d’importance:
1- En Inde, les cobayes médicaux (ce sont ses termes) coûtent de 20 à 60% moins cher que dans les pays occidentaux.
2- Le ministère indien de la Santé a proposé, en 2007, le vote d’un amendement autorisant les laboratoires pharmaceutiques étrangers à tester leurs médicaments sur des patients indiens, avant même que leur innocuité soit démontrée.
Un Indien, enthousiasmé par l’activité économique que représentent les essais pour son pays, a déclaré qu’«il s’agit là d’une délocalisation contre laquelle les ouvriers américains ne risquent pas de s’élever» (Shah S.: «Délocalisation des risques. Médicaments du Nord testés sur les pauvres du Sud», ‘‘Le Monde Diplomatique’’, 2008).
Qu’en est-il en Tunisie?
Les essais cliniques se pratiquent dans nos Chu. Ils ont beau être régis par des textes «apparemment» très stricts, ils soulèvent tout de même plusieurs interrogations dont les plus importantes sont les suivantes:
1- Les médecins qui en ont la charge, d’où viennent-ils? Qui les a recrutés? Sur quels critères?
2- Les personnes impliquées, quelle que soit leur spécialité, sont-ils liées financièrement à l’industrie? Si tel est le cas, le déclarent-ils à leurs institutions?
3- Les essais cliniques qui se pratiquent dans nos institutions publiques sont-ils enregistrés dans des registres nationaux?
4- Ces registres doivent être de libre accès au public et doivent aussi répondre aux exigences de l’Oms. Les résultats doivent également être publiés. A ce propos, plusieurs revues biomédicales de premier plan n’acceptent de publier les résultats d’un essai clinique que s’il a été répertorié dans un registre agréé.
Les interrogations envisagées ci-dessus mériteraient de la part des responsables une réponse claire et transparente.**
* Professeur à la Faculté de Pharmacie de Monastir
** Cet article est une mise au point, ou mieux: une mise en garde rédigée à partir d’une compilation de réflexions personnelles, d’articles et d’émissions radiophoniques: Rfi, France Info, Le Monde, Le Figaro, Prescrire et le rapport de l’Igas (Bernard Debré et Philippe Even).
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